Résumé

L’article rappelle tout d’abord l’histoire linguistique de La Réunion qui n’a été peuplée qu’à partir du XVIIe siècle par des Français et des Malgaches, puis ultérieurement par des Africains et des Asiatiques. Le créole réunionnais résulte de ce brassage de français, malgache, indien, chinois, indo-portugais, bantou, anglais, ourdou… L’article décrit ensuite les moments de contage traditionnel : comment la famille se réunissait devant le lit de l’aïeule pour écouter presque religieusement les contes de la « gramoun », ou encore comment les journaliers agricoles, les ouvriers et les petits planteurs se retrouvaient le soir autour des « rakontèr zistoir ».
L’arrivée de la télévision, vers 1964, a transformé le rapport à la tradition orale. Après le mouvement de renouveau de la culture réunionnaise des années 1970, on assiste aujourd’hui à un retour en force de l’art de conter. Après avoir précisé quelques particularités des contes réunionnais, l’article donne enfin deux contes qui exemplifient que la culture réunionnaise plonge ses racines en terre d’Afrique, d’Europe et d’Asie.

Abstract

Creole story-telling in La Réunion.
The paper first outlines the linguistic history of La Réunion, populated from the seventeenth century on by French and Madagascan settlers, then by Africans and Asians. La Réunion creole is thus the result of the intermingling of the French, Madagascan, Indian, Chinese, Indo-Portuguese, Bantu, English and Urdu languages. The article then describes the setting for traditional storytelling : the family gathered around the elder’s bed to listen almost religiously to the “gramoun”’s (grand-mother’s) tales, or the day laborers, workers, and small planters gathering together at night to tell stories. The arrival of television in 1964 transformed the relation to this oral tradition. After the Réunion culture revival movement in the 1970s the island experienced a strong come back of the art of storytelling. The author explains some features of Réunion story-telling before transcribing two tales that show how Réunion culture reconstructs its roots in Africa, Europe and Asia.

Sommaire

Table des matières

Introduction


Pour l’écrivain et conteur de langue créole que je suis, écrire cet article sur les contes est l’occasion de témoigner que la culture réunionnaise — une culture jeune mais aux racines plongeant en terre d’Afrique, d’Europe et d’Asie — est susceptible d’éveiller l’intérêt d’un public extérieur à mon île. Aujourd’hui, La Réunion et ses habitants s’enorgueillissent d’être considérés comme un exemple de « vivre ensemble », un modèle pour d’autres régions du monde où les différences sont vécues comme autant de raisons de s’opposer, au lieu de se rapprocher et de partager des choses. C’est aussi l’occasion de prouver que des textes écrits dans ma langue maternelle peuvent, une fois traduits en français par exemple, porter, au-delà des limites de l’île, des valeurs dignes de l’humanité tout entière.

Après avoir rappelé l’histoire linguistique de La Réunion et précisé des particularités du contage dans l’île, je proposerai à la lecture deux contes : « Rêve sur un volcan » et « La femme devenue vache ».

Le premier est un conte qui réunit deux des personnages les plus célèbres concernant la période esclavagiste de notre histoire, relatée dans les contes traditionnels réunionnais. Ce sont deux femmes : l’une, Madame Desbassyns, personnage historique, ancienne propriétaire d’esclaves ; l’autre, Grand-mère Kalle, personnage mythique supposé ancienne esclave. Deux entités antagonistes. Ce conte est un rêve, à la fois réalité et mensonge : c’est le rêve du héros qui voudrait réconcilier l’esclavagiste et l’esclave à travers un rôle commun de grand-mère ; c’est aussi mon rêve en tant qu’auteur qui souhaite voir se réaliser la réconciliation de tout un peuple pour magnifier le vivre ensemble des Réunionnais.

Le second conte a été choisi parce qu’il met en valeur la culture millénaire de l’Inde. Qui de la femme devenue vache et de Jocaste devenue femme d’Oedipe, donne le mieux l’occasion d’incarner le désir amoureux du fils envers sa mère ? Lequel de ces récits légendaires aurait pu être à l’origine de l’autre au temps où la Grèce était en contact avec l’Inde ? Ce n’est pas là la question que l’auteur se posait avant de s’intéresser au personnage de Dévna, bien sûr. Mais l’histoire de cette femme lui a semblé tellement émouvante !

Marmit Zistoir
Daniel Honoré, un soir à la médiathèque François Mitterrand de St-Denis.
Photo : Sandra Emma (date).


Daniel Honoré, un soir à la médiathèque François Mitterrand de St-Denis
Photographie : Sandra Emma.


La Réunion : présentation historique et sociolinguistique


L’île a connu plusieurs découvreurs et porté divers noms : Dina Morgabin, England Forest, Bonaparte, Bourbon… Déserte jusqu’en 1646, elle fera l’objet de quelques prises de possession. En 1663, un Français Louis Payen et dix Malgaches s’installent sur la côte ouest, à l’actuel St-Paul, mais sans tarder les Malgaches s’en vont en marronnage. En 1665, le Commandant Etienne Regnault débarque avec une vingtaine d’autres colons et des esclaves malgaches. Ils s’installent définitivement sur l’île.

En 1709, les esclaves ne forment que 33% de la population mâle ; en revanche 63% des femmes sont originaires de Madagascar. Ces femmes malgaches bientôt devenues mères et « nénènes »* [1] sont en contact étroit avec les enfants nés dans l’île et ne leur parlent le plus souvent que dans leur langue maternelle. La langue malgache aura une place importante dans la genèse de l’outil de communication de l’époque, le créole.

Aux environs de 1715, l’île se dirige vers une société de plantation avec la culture des épices et du café et l’arrivée de nouveaux colons et esclaves. A la fin du siècle, l’île compte une population de 50 000 âmes où dominent les hommes de couleur. Les concessions de terres se font de plus en plus rares, ce qui entraîne la paupérisation des petits propriétaires blancs qui seront obligés de s’exiler dans les hauts de l’île. On les appellera les « Petits Blancs des Hauts ».

Dans la première moitié du XIXe siècle, le café et les épices laissent la place à la canne à sucre consommatrice de main d’œuvre qui commence alors à manquer : d’où l’organisation de l’immigration de travailleurs libres africains et asiatiques, les « engagés »*.

En 1848, c’est l’abolition de l’esclavage. Sur les 62 000 affranchis, 30 000 hommes libres abandonnent le travail malgré les menaces du représentant de la République, Sarda Garriga. En une quinzaine d’années on est obligé de faire appel à 68 000 nouveaux « engagés » : Malgaches, Africains, Indiens, Chinois, Rodrigais. Au début du XXe siècle, les éléments autres que Français hexagonaux représentent l’immense majorité avec parmi eux, déjà, des métis. Les critères du métissage sont difficiles à préciser tant du point de vue des phénotypes que du point de vue des patronymes ; ils le sont encore plus dans le domaine linguistique car à peu près tout le monde a été obligé d’abandonner sa langue d’origine, le colon comme l’esclave. Et cela au profit d’une nouvelle langue, le créole.

En phase initiale de la société réunionnaise, les langues non-européennes ne jouent pas un rôle important parce que les colons blancs sont presqu’aussi nombreux que les esclaves et surtout parce qu’ils sont en position de force : c’est donc des patois français qui servent à la communication, d’autant plus que les nouveaux arrivés ne se comprennent pas entre eux puisqu’ils sont de pays et de régions différents. A la phase de plantation, on assiste à un changement de mode d’organisation sociale car le nombre d’esclaves et d’ « engagés » a fortement augmenté et la langue cible des habitants de l’île n’est plus le français mais un pidgin qui deviendra au fil du temps le créole réunionnais. C’est un creuset de langues aux différents apports : français, malgache, indien, chinois, indo-portugais, bantou, anglais, ourdou… C’est une langue à base lexicale française (on admet que 70% du vocabulaire est d’origine française), mais la syntaxe est parfois influencée par d’autres langues. Le système phonétique, syntaxique, morphologique et prosodique se différencie souvent de celui du français.

Historique de la pratique du conte à La Réunion.


A La Réunion, comme dans d’autres îles, nous pouvons penser que les premiers arrivants ont raconté des histoires dès l’apparition des enfants dans les familles. Nos ancêtres venus des quatre coins du globe ont certainement apporté dans leurs malles et dans leur tête leurs propres explications de la naissance du monde, de son existence, de ses promesses, de ses menaces. Et dans cette île “fermée”, comment ne pas se rappeler l’ “ailleurs” pour répondre à un besoin d’évasion : l’esclave ou l’engagé s’évadait physiquement, s’évadait dans sa tête, s’évadait par la parole, marronnage idéal.

Il faut savoir que ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle que des textes sont édités par des Réunionnais. Ce sont surtout des poèmes et quelques traductions-adaptations de fables et les auteurs sont tous des fils de la haute société : Antoine de Bertin (1752-1790) ; Evariste de Parny (1753-1814) ; Etienne Azéma (1776-1851) ; Auguste Lacaussade (1815-1897) et le plus illustre d’entre eux, Leconte de Lisle (1818-1894)… Si dans leurs œuvres on trouve parfois des témoignages sur la difficulté de vivre dans l’île pour une certaine couche de la société réunionnaise, rares cependant sont les interventions directes du peuple et de sa culture métissée. Ce n’est que par l’oralité que la transmission du patrimoine se fait. Aujourd’hui encore, peu d’ouvrages ont été consacrés à des études ethnologiques sur les contes, les proverbes, les comptines, les devinettes à La Réunion [2].

Si l’on essaie de remonter dans le temps, l’on ne peut qu’imaginer qu’à l’époque, seuls pouvaient participer à la transmission des contes et légendes, les descendants des esclaves et des engagés : c’était vital pour eux et pour leur descendance. Comme nous l’avons dit plus haut, sans doute, nos ancêtres sont arrivés dans l’île avec, dans leur tête, et pour certains plus instruits, dans leurs malles, des histoires de leur pays. L’Afrique est le continent de la parole ; la Chine est une civilisation vieille de plusieurs millénaires ; l’Inde compte parmi ses trésors le Mahâbhârata, le Râmayâna et l’héritage fabuleux des Grands Moghols ; la France est une des héritières de la riche civilisation gréco-latine et les régions d’où sont partis les premiers colons blancs ont toujours fourmillé de contes mystérieux et fabuleux ; Madagascar est une rencontre entre l’Afrique et l’Asie. Il est donc normal de retrouver à travers nos contes et légendes traditionnels des traces, des trames, des héros et des héroïnes déjà connus sous d’autres cieux.

A l’intérieur des familles, le « rakontèr »* était en général un des grands-parents, le plus souvent la grand-mère. C’était le temps où les « gramoun »* habitaient encore sous le même toit que les petits-enfants. Le soir, après le repas et avant le coucher, c’était l’heure du « rakontaz »*. La petite famille, y compris le père et la mère, se réunissait devant le lit de l’aïeule, en silence et presque religieusement pour écouter... la bonne parole. Souvent la vieille dame, dont le répertoire n’était pas très riche, racontait la même histoire ou des variantes, mais le public ne s’en lassait pas. Dans les familles aisées, la parole du conte était l’apanage de celle qu’on appelait la « nénène »*. C’était habituellement une dame d’un certain âge, servante chargée de la garde des enfants ou carrément de leur “élevage”. C’est elle qui racontait le soir, avant le coucher, pas dans la journée : il faut dire qu’elle avait suffisamment à faire avec la cuisine, le nettoyage, la lessive, le repassage... Alors pour échapper à la demande répétée d’histoires de la part des enfants, elle opposait à ces derniers un argument irréfutable : « Rakonte zistoir la zourné, i fé pouss korn sï la tèt ! » (raconter des histoires, en plein jour, fait pousser des cornes sur la tête !). Entrant dans son jeu, les enfants s’imaginaient alors l’irruption dans la maison de Grandiab avec ses terrifiantes cornes et son effroyable queue... et se tenaient tranquilles jusqu’au soir.

A cette époque où la modernité ignorait encore l’adresse de notre île, l’on vivait à la lueur des lampes à pétrole et l’on marchait, les pieds en contact direct avec le sol. Les quartiers serraient leurs cases et leurs paillotes les unes contre les autres, comme pour rassurer leurs habitants, la nuit venue. Tous les soirs, après avoir dégusté le petit « koudsèk »*, les journaliers agricoles, les ouvriers d’usine et autres petits planteurs se retrouvaient devant le bistrot fermé et sous les rayons d’une lune bienveillante. Et là les « rakontèr zistoir »* prenaient la parole. On retrouvait les mêmes sous une « salvèrt »* lors des veillées mortuaires. Là, les amateurs d’histoires s’en donnaient à cœur joie pendant que d’autres jouaient aux cartes ou aux dominos…

Et puis arrivent les années 1964-1965. Brutalement. Et avec elles, la télévision. C’est l’ORTF. Les familles riches, les Maisons des Jeunes s’offrent les premiers postes. Les gens s’agglutinent sur des bancs devant les fenêtres ou dans les salles pour les infos et la série policière de 7 heures à 9 heures. Et puis, sournoisement, les allocations familiales aidant, la situation financière des ménages s’améliorant, Dallas, Côte ouest, tous feuilletons d’outre-Atlantique, dans lesquels on ne travaille jamais mais on est riche quand même, se font conquérants. Ces séries sapent les valeurs de base de la société réunionnaise. Le modernisme s’impose. A la même période, les écoles fleurissent dans les grandes villes ; la presse se développe, porte-parole des « pays-dehors »* ; les routes s’ouvrent et les voitures s’y engouffrent. Grands-parents et parents découvrent la civilisation des loisirs et de la consommation. On change de mode de vie.

La mentalité du Réunionnais, jusque-là plutôt stabilisée, évolue rapidement. L’on se met à vivre comme « déor »* et l’on se moque des traditions. Les derniers conteurs s’effacent, honteux, devant la dictature de l’image. On n’ose plus se mettre en scène en compagnie de Ti-Zan (Petit Jean, personnage de contes traditionnels) ou de Granmèrkal (Grand-mère Kal) [3].

Même à la veillée mortuaire, le conteur doit se taire. Auparavant, la veillée savait faire une certaine part à nos racines africaine et malgache : à l’intérieur de la maison, autour du corps installé, les femmes priaient, mais à l’extérieur, sous les bâches des « salvèrt »*, les hommes jouaient aux cartes, aux dominos, aux devinettes créoles ; on racontait des histoires en buvant du café brûlant ou un verre de rhum. Aujourd’hui il serait incongru, à une veillée, de parler haut, de rire, à plus forte raison de raconter des histoires. Comme pour ajouter à cette petite mort, la nénène aussi laisse sa place ou bien n’a plus le même statut au sein des familles. Quant à la grand-mère, elle est reléguée au village du troisième âge si elle ne préfère pas aller danser avec ses copines de la quatrième jeunesse ou participer à des élections de miss.

Avec le mutisme de la nénène et de la grand-mère, c’est la transmission des contes traditionnels qui s’efface et complète la débandade face à la télévision, l’ordinateur, les jeux vidéo, le téléphone portable...

Alors, fini le droit à la parole ? Heureusement, les années 1970 voient ce que les militants culturels ont appelé le « bardzour »* de la culture réunionnaise. A partir de 1972, le journal Témoignages du Parti Communiste Réunionnais (PCR) publie une série de contes recueillis au sein de la population par Boris Gamaleya, membre du parti et militant de la mise en valeur de la tradition orale réunionnaise. En 1974, une revue Bardzour mascarin propose dix contes traditionnels dont Kalandiak. Quelques années plus tard, le Centre Universitaire de La Réunion édite Kriké kraké, un recueil de contes créoles glanés à travers l’île auprès des personnes plus ou moins âgées parmi lesquelles G. Barivoitse, dit « Lo Roi Kaf » [4]. Ces personnes-ressources disséminées dans des coins retirés de l’île sont contactées par des professeurs de l’université de La Réunion : elles acceptent de raconter des histoires presque oubliées et on les enregistre.

Cependant il faudra attendre les années quatre-vingts pour que quelques conteurs, peu nombreux mais animés d’un fort militantisme, redonnent à l’oralité une place à côté des textes enregistrés ou fixés par l’écriture. A la fin du XXe siècle et durant la première décennie du XXIe, c’est le retour en force du conte créole : dans les médiathèques et les associations culturelles, sur les ondes des radios, sur les antennes des télévisions, dans les festivals et surtout dans les classes des écoles, des collèges et lycées, jusque dans l’enceinte de l’université, de véritables spectacles de contes sont proposés au public qui répond de plus en plus présent. Des écrivains se lancent dans l’enrichissement de notre patrimoine et des recueils de contes et légendes s’éditent et se vendent. Depuis 2005, on voit l’organisation de stages d’initiation à l’art de conter. L’initiative revient à L’Union pour la Défense de l’Identité Réunionnaise (UDIR) [5], une association culturelle dont les activités principales sont l’édition, l’animation et la formation.

Les stages de formation de « rakontèr zistoir »* [6] se fixent comme objectifs principaux :

  • L’acquisition de techniques de base (travail de la voix, des déplacements, du regard, de la gestuelle, de la mémorisation…).
  • Contact avec les sources originelles du conte réunionnais (Madagascar, Afrique, Inde, Chine, Océan indien).
  • Ouverture culturelle autour du conte en liaison avec les aspects de la tradition orale (proverbes, devinettes…). Remarquons que l’étude des contes de fées n’est pas abordée car ils sont pratiquement inconnus chez les conteurs traditionnels réunionnais.
  • Cette ouverture a pour but principal de permettre aux stagiaires de retrouver les pratiques du conte chez les anciens. Ils sont amenés à revivre certains moments de contes autour des grands-mères et des grands-pères, assis sur le rebord du lit le soir, ou sur un petit siège bas, appelé « ti-ban »* dans la cuisine devant un feu de bois. Notons que les « gramoun »* ne se déplaçaient que très rarement, n’élevaient guère la voix, n’usaient presque pas de gestes forcés. Les lieux et moments de contes ayant changé, la nouvelle génération de conteurs a évolué dans sa pratique de « racontage », même si la référence reste celle des anciens.

    Zistoir Bourik
    Clôture d’un stage de formation de « rakontèr zistoir » : une stagiaire face à son public.
    La page de l’UDIR commente un stage de « rakontèr zistoir » et donne plusieurs exemples de contes filmés (cf. http://www.udir.org/rakonter-zistoir-formations/154-rakonter-zistoir-qkan-bondie-y-met-domoun-kom-zot-su-mon-cheminq).
    Zistoir Bourik
    Clôture d’un stage de formation de « rakontèr zistoir » : une stagiaire face à son public. Cette page de l’UDIR commente un stage de « rakontèr zistoir » et donne plusieurs exemples de contes filmés (cf. http://www.udir.org/rakonter-zistoir-formations/154-rakonter-zistoir-qkan-bondie-y-met-domoun-kom-zot-su-mon-cheminq).



    Quelques particularités des contes réunionnais.


    Les formules des contes réunionnais


    Traditionnellement, le conteur réunionnais entre en contact avec son public par des formules phatiques. Il lance « kriké ! »* ou « krik ! » et l’auditoire répond « kraké ! »* ou bien « krak ! » ou encore « shass ! ». Au début de la séance, cela correspond un peu à une demande de la part du conteur : « Es-tu prêt, public ? Me donnes-tu l’autorisation de te raconter une histoire ? ». Et la réponse du public a valeur d’accord. D’ailleurs il arrive que le conteur demande simplement si le public est là et un court dialogue s’instaure :


    - La sosiété lé là, lé pa là ? - Lé là ! (Public es-tu là ? - Oui ! )

    - La sosiété lé paré, lé pa paré ? - Lé paré ! (Public, es-tu prêt ? - Oui !)



    En cours de « rakontaz »*, l’échange des formules phatiques peut avoir plusieurs rôles : il permet de casser le rythme du conte, d’éviter que s’installe un brin de monotonie, de créer un certain suspens ; il permet également de « réveiller » ceux qui ont laissé leur imaginaire sommeiller ou inversement ceux dont l’esprit est allé « vavanguer »* un peu trop loin. Parfois c’est un moyen pour le conteur de se donner un moment pour souffler ou pour remettre de l’ordre dans sa trame. En ce qui concerne le jeune public, c’est l’occasion d’ouvrir la bouche et d’avoir le sentiment de participer à l’histoire (interactivité).

    D’autres formules peuvent s’entendre au début du « rakontaz » ; en voici quelques unes :

    - Si zistoir lé mantèr, la pa moin lotèr : gramoun lontan lotèr ! (Si l’histoire ment, je n’en suis pas l’auteur, ce sont les anciens qui l’ont inventée). On retrouve là, à peu de chose près, la formule dont usent les conteurs malgaches : « ce n’est pas moi le menteur mais les anciens de jadis » ou bien « ce n’est pas moi qui mens mais nos ancêtres ».

    - Lavé in foi mesié Lefoi la manz son foi sanm in grin-d sèl ! (Il était une fois, monsieur Lefoi a mangé son foie avec un grain de sel)

    - In tour pou in zour ... (Il y eut un jour…)

    - In foi pou in bone foi ... (Il y eut une fois…)
    Ces formules situent l’histoire dans un passé nimbé de flou.

    - Koton maï i koul ! (La rafle de maïs séchée va au fond de l’eau)


    Cette formule est intéressante car elle permet une interactivité argumentée. Le public avisé répond alors : « Morso savon i flote ! » (le savon flotte sur l’eau). Normalement, la rafle de maïs séchée, qui fait office de brosse pour la lavandière, flotte. Or la formule lancée par le conteur affirme l’inverse. Pourquoi ? Pour réveiller ou bousculer l’esprit critique du public afin que ce dernier se rende compte que ce qu’on lui raconte peut comporter des contrevérités. Alors, en lançant, à son tour « morso savon i flote », le public réagit comme pour répliquer : « nous ne sommes pas dupes et ton histoire ne nous trompera pas ! ».

    Une autre formule intéressante, mais pas pour les mêmes raisons, est la suivante :


    - La klé dan zot posh, la tay dan mon sak ! (La clé est dans votre poche, le caca est dans mon sac).


    Cette formule semble s’être fortement éloignée de celle que l’on entend dans certaines régions de France (Prêtez-moi votre clé pour faire sortir mon histoire de mon sac). Chez nous donc, l’histoire s’est transformée en « tay »*. Pourtant le Réunionnais n’est pas plus scatophile que les autres. Alors est-ce dû à de la gouaille poussée à l’extrême et tournée contre sa propre prestation à venir, donc contre sa propre personne, en somme ? En effet, l’on a souvent remarqué que le Réunionnais a une fâcheuse tendance à dévaloriser ses produits face à ce qui arrive du « péï-déor »*. C’est comme si le conteur disait : « Ce que je vais vous raconter n’a aucune valeur : c’est de la m... ». Sinon, serait-ce tout simplement de l’humour... de colonisé ?

    A la fin du conte, on entend souvent la phrase suivante : « Bann-là la fou amoin in koudpié dan mon dèrièr, moin la fé in voltaz, moin la tonm tèr-là pou rakonte azot... » (On m’a donné un coup de pied au derrière, j’ai fait un vol plané et suis retombé là pour vous raconter...). Cette phrase annonce traditionnellement la fin de l’histoire. Elle est le plus souvent amenée par un évènement festif, des agapes auxquelles le conteur, se mettant en scène, voudra participer mais on lui donnera un coup de pied, etc.

    Cette phrase finale fait penser que les anciens, au temps de l’esclavage, avaient peu d’occasions de prendre part à des ripailles. Enfin, faut-il voir dans cette fin malheureuse pour le conteur, un clin d’œil à la misère qui était le lot de la majorité face à l’opulence des maîtres d’esclaves et qui paraît bien loin pour la nouvelle génération ?

    En tout cas, selon la tradition, nos histoires ne se terminent pas par « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » même si, avoir beaucoup d’enfants était le lot de la plupart de nos ancêtres... mais ces enfants ne leur appartenaient pas : ils étaient, dès leur naissance, comme leurs parents, la propriété des « Gros Blancs »*.

    Autres particularités des contes réunionnais


    Ce sont des comptines ou carrément des chansons dites le plus souvent dans un langage incompréhensible ou dont le sens a été perdu depuis belle lurette. Ainsi dans un conte d’origine malgache Réval, moitié lo zonm (Réval, la moitié d’homme), la maman s’en va à la recherche de son fils et chante :

    Toungounoulouni oi manzari la toungréal
    Oréalasoua, oréalasoua…



    En général, le public n’attend aucune explication pour ces airs. Il les accepte comme autant de sésames pour la réalisation du conte et leur transmission se faisant uniquement par l’oralité sans notation musicale, il est rare que la comptine ou la chanson trouve les mêmes notes chez deux conteurs différents. Quand les paroles sont plus claires, ce qui arrive rarement, le public les apprend rapidement et le conteur en profite pour le faire participer.

    On peut entendre aussi des proverbes, l’évocation de certaines croyances populaires et même des devinettes créoles dans la bouche du conteur qui n’hésite pas à entrer dans son histoire par des réflexions, des commentaires, des digressions très personnelles. Les proverbes agrémentent les histoires et peuvent passer pour de courtes leçons de morale. En voici un exemple : « In momon, bibron la zamé fini » (Le biberon d’une mère ne finit jamais, autrement dit une mère reste une mère, même pour ses enfants devenus adultes, autant dans les joies que dans les peines). Un tel proverbe peut trouver sa place dans un conte où le héros connaît des mésaventures et est obligé de revenir chercher du réconfort et des conseils auprès de sa maman. Cela ne veut pas dire que le conteur se transformera en professeur de morale. En ce qui concerne les croyances populaires qui peuvent carrément être à la base de certaines légendes, loin de se montrer puériles, elles sont souvent le résultat d’observations intéressantes menées des siècles auparavant : ce qui paraît absurde aujourd’hui peut ne pas l’avoir été en d’autres temps ; ce qui relève de l’irrationnel n’est pas toujours menace pour la raison et la réalité. Ainsi l’esclave malgache qui voulait se sauver devait garder un espoir dans l’Esprit EL ou « Bondié malgash »*, car la religion officielle, elle, le condamnait à se soumettre au maître.

    L’évolution sociale ayant été très rapide à La Réunion ces dernières décennies, la nouvelle génération ignore souvent tout du mode de vie des grands-parents, voire des parents. A l’occasion d’une séance de contes, elle pourra parfois prendre contact avec ce qu’il est convenu d’appeler des « faits culturels » : habitudes anciennes, traditions disparues, etc.

    A l’inverse des anachronismes que le conteur peut placer exprès dans son « rakontaz »* pour faire rire son public et vérifier que ce dernier garde son esprit critique (apparition de voitures 4x4, d’ordinateurs, de bijoux dans les narines ... au beau milieu d’un conte du temps jadis), les faits culturels et les explications que le conteur est amené à en donner, permettent à la jeunesse de récupérer un peu de l’histoire de l’île. Les faits culturels expliqués relient l’enfant d’aujourd’hui à son passé et permettent que sa vie ne soit pas trop déphasée par rapport à celle de ses ascendants.

    Beaucoup de nos contes et légendes, en particulier ceux autour de Granmèrkal et Madam Débasin se situent dans un contexte historique auquel nous devons la naissance du peuple réunionnais [7]. Du XVIIIe siècle à la moitié du XIXe, La Réunion a vécu la période la plus sombre de son histoire : 150 années dominées par le système esclavagiste. Il fut un temps où l’école refusa d’évoquer cette époque honteuse. Seuls, la tradition orale, les contes et légendes, le dit des vieux, ont pu empêcher le souvenir de l’esclavage de sombrer dans l’oubli. C’est le cas pour les histoires construites autour des esclaves qui ont connu le marronnage, comme Eva ou Anchaing et surtout pour la légende de Madam Débasin. Madam Débasin (de son vrai nom Panon-Desbassayns) était une riche propriétaire de terres et d’esclaves qui, de son vivant, aurait joui de toute la considération de la bonne société et même de ses esclaves. Elle aurait mérité de l’Eglise, le titre de « Seconde Providence des pauvres ». Cette image de « Seconde Providence » est son côté Histoire alors que l’image de diablesse qu’elle traîne depuis sa disparition est son côté Légende. En effet, après sa mort, l’imaginaire populaire a transformé Madam Débasin en diablesse, pire que ça ! en esclave et en maîtresse de Lucifer, le propriétaire du volcan Piton de la Fournaise : c’est là que la mémoire collective situe l’enfer. Madam Débasin est condamnée à y purger sa punition pour tous les crimes dont on l’accuse aujourd’hui : du temps de son vivant, l’inconscient populaire aurait été refoulé mais la vengeance des descendants d’esclaves a débouché sur la naissance d’un mythe, un des plus remarquables de La Réunion.

    Les histoires créoles font la part belle à la nature de l’île. On y retrouve le Piton de la Fournaise, les rivières, les forêts, les montagnes, les plantes, les fleurs… Au fil des contes, le raconteur aura l’occasion de se rendre compte que le nom de nos oiseaux, de nos arbres, de nos lieux-dits sont peu connus des enfants. Il peut combler quelques lacunes. Outre que les contes évoquent des « faits culturels », comme vu plus haut, ils sont aussi porteurs de souvenirs, de coutumes qui semblent si lointaines et dans le temps et dans l’espace. Ce sont des coutumes qui ont influé sur la mentalité du peuple réunionnais et pour bien comprendre cela, il n’est pas inutile de s’en souvenir en écoutant les « rakontèr zistoir »*.

    Parmi les particularités des contes traditionnels réunionnais citons encore le fait qu’ils ne portent pas l’accent sur les critères de la beauté féminine (couleur de peau, des cheveux, des yeux...), ni sur le thème de l’amour (son éveil, sa perduration...), ni sur l’évocation d’un certain érotisme, le plus léger soit-il. Sans doute, nos pères et mères avaient-ils d’autres préoccupations plus importantes, eux qui devaient tout faire d’abord pour rester en vie.

    Enfin, la particularité la plus importante, à notre avis, est l’utilisation de la langue créole dans la pratique du « rakontaz »*.

    Rêve sur un volcan

    ou Le rêve du fils de l’engagé [8]

    Ce matin, Bertrand se réveille de très bonne heure et prend le sentier vers les hauteurs de l’île, un sac sur l’épaule. La lune, pleine et généreuse, baigne encore la terre entière de sa douce lumière. Il fait un peu frais et c’est tant mieux : le jeune homme ne suera pas malgré les kilomètres et la côte raide qui l’attendent.

    Cela fait un certain temps que Bertrand a décidé d’aller admirer un lever de soleil sur les flancs du cratère Bory. Il se souvient que, petit, il avait été amené là-haut par son « papa » Vidyapin. Cette année-là, Vidyapin et lui avaient couché à la belle étoile sous une épaisse couverture de laine et directement sur le sol de la Plaine des Sables qui avait gardé un peu de la chaleur du jour juste pour eux deux. Aux premiers rayons du soleil, ils étaient déjà au sommet du volcan, à croupetons, serrés l’un contre l’autre, dans un froid sec qui les faisait frissonner. Mais le spectacle était si beau ! Grandiose ! Magique !

    Bertrand veut revivre ce moment en souvenir de son père trop tôt disparu — sans doute à l’appel de sa défunte mère, la grand-mère de Bertrand en fait, qui devait se sentir très seule et perdue dans l’immense au-delà et si loin de sa terre natale ! C’est une sorte de promesse qu’il va tenir aujourd’hui.

    Là-bas, la barre de mer commence à rougeoyer et lambrequine* d’or de légers bébés nuages. Notre ami choisit une place sur le bord du cratère, face à l’est, dépose son sac et s’assied, le derrière en contact avec le sol. Oh ! Quelle merveille ! Instinctivement, il se retourne à demi, un sourire aux lèvres, comme s’il avait senti la présence de quelqu’un à ses côtés. « Merci, Papa, de m’avoir fait découvrir tout ça ! » murmure-t-il au fond de lui-même. Papa Vidyapin, quel homme extraordinaire ! Toujours au travail pour nourrir sa mère et son fils. Un courage qui faisait l’admiration de tous ceux qui le connaissaient. Il était en quelque sorte le représentant en même temps que le défenseur des autres engagés de la propriété, le seul à être en mesure de prendre la parole et de discuter avec le patron, de lui présenter des doléances, de lui tenir tête au besoin, en restant toujours calme et digne. Il forçait le respect.

    Vidyapin n’était pas le vrai père de Bertrand mais il s’était tout le temps conduit comme s’il avait engendré le gamin…

    A cette époque-là, on entendait souvent parler d’enfants ramassés* et Bertrand en était un. Un matin de décembre, Vidyapin l’avait trouvé, tout nu, endormi dans une grande corbeille, sur le perron de son cabanon. Quelqu’un avait griffonné un message sur un morceau de papier froissé, déposé à côté du bébé : un prénom suivi d’un nom en majuscules, Bertrand Parvédy. Parvédy ? Mais… c’était son patronyme ! Il ne se souvenait pas d’avoir couché avec une femme depuis plus d’un an… Qui donc avait déposé ce bébé devant chez lui ? Qui avait décidé que lui, le « Malbar » comme on l’appelait souvent, aurait un fils à la peau claire ? Qui avait conseillé à la mère du petit de le choisir, lui, Parvédy Vidyapin, pour être le père d’un enfant ramassé ? C’était le Dieu des engagés, certainement, qui voulait le récompenser pour sa vie exemplaire. L’enfant était si beau, son sourire si attendrissant, que Vidyapin, le célibataire endurci, n’hésita pas un seul instant : il déposa le plus beau cadeau que la Trimurti* pouvait lui faire à l’occasion du Pongal*, dans les bras de sa mère.

    Le Malbar engagé aux mains calleuses se mua en maman poule pour son garçon, aidé en cela par Mardavédi, sa vieille maman, aussi heureuse que lui, d’avoir un petit-fils. D’ailleurs c’est cette dernière qui s’empressa d’aller à la mairie déclarer la « naissance » de Bertrand Parvédy. On lui offrait enfin le titre de grand-mère ! Grand-mère Mardavédy ! Malheureusement, la vieille femme n’eut pas le bonheur d’accompagner Bertrand sur le long chemin de la vie. Elle dut obéir à l’invitation pressante de l’autre monde alors que l’enfant faisait ses premiers pas en classe de troisième. Elle n’eut pas non plus la satisfaction de voir son petit-fils être en âge d’ajouter à son prénom celui de Dévélou ou de Soubramini [9]… sans doute le destin avait-il décidé que Bertrand serait à la fois Français et Indien. Ce qui est sûr, c’est que Bertrand ne put se consoler de la perte de sa grand-mère et, devenu adulte aujourd’hui, il garde toujours au fond de son cœur l’ardent désir d’en retrouver une autre, un jour.

    Au loin l’astre aux rayons d’or semble accélérer son retour dans l’univers des levés tôt. Bertrand sent monter en lui un sentiment inconnu comme si, tout d’un coup, l’illumination de la nature était un spectacle offert à lui tout seul. Il est là et le soleil n’a pas besoin d’autre public pour ce récital de création du monde. Mais la poésie s’efface devant les contingences matérielles parfois et, ne voilà-t-il pas que notre jeune ami ressent les sournoises attaques de la faim ! Il est sur le point de plonger sa main dans son sac pour y prendre le bol de riz chauffé*, son petit-déjeuner, lorsque, soudain, un coup de chabouc* claque quelque part sous ses pieds. Une voix hurle : « Chauffe, madame Desbassayns ! Chauffe ! »

    Les cheveux se dressent sur la tête de Parvédy. Madame Desbassayns ! Un fantôme ? Mais alors si la vieille femme va « chauffer », cela veut dire que le volcan va entrer en éruption ! C’est en tout cas ce que professe la croyance populaire : quand madame Desbassayns « chauffe », c’est le réveil du cratère, l’ébullition de la chaudière, les projections de laves de feu… Et lui, le fils de Vidyapin, il est assis au bord de cette énorme gueule qui va vomir la mort ! Pris de panique, il essaie de se relever ; ses jambes refusent d’obéir ; il veut crier sa peur ; aucun son ne sort de sa bouche tandis qu’un roulement sourd semble monter des entrailles de la terre. En bas, un chabouc* claque de nouveau. La voix métallique ordonne encore : « Chauffe, madame Desbassayns ! Chauffe ! » Alors un long cri de détresse couvre le tapage menaçant de l’éruption à venir. Un hurlement insoutenable de bête blessée, un appel au secours de femme que l’on achève, transperce le corps de Bertrand qui, subitement, se voit debout sans même avoir pris un appui sur le sol. Les mains ouvertes en porte-voix, il crie alors : « Arrête ! Arrête ! Laisse cette vieille femme tranquille ! ». Et comme par miracle, brusquement tout se tait. Sans attendre la suite des évènements, le jeune homme dégringole la pente, oubliant son sac et son petit-déjeuner. « Le volcan va couler ! Le volcan va couler ! » hurle-t-il comme pour prévenir les gens de la côte de se mettre à l’abri. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il arrive au bas du cratère. Les roches, les grattons de lave, les encordées* se font solides et sûrs sous ses pieds qui le portent ainsi que des ailes. Même ses poumons se mettent de la partie et lui fournissent de grandes bouffées d’oxygène pour qu’il ne soit pas essoufflé… Et le voilà devant la Chapelle Rosemont, cette grotte de lave refroidie que la Providence a mise là à l’intention des visiteurs de l’enclos* fatigués. A la porte de la chapelle, une lumière rougeâtre irradie d’une forme humaine. La course de Bertrand s’arrête net. Mais aussitôt, une voix caverneuse l’invite à avancer. C’est une femme qui est devant lui, une vieille à la peau blanche, la tête et les épaules protégées par une sorte de mantille noire.

    - Merci, monsieur ! Merci, mon enfant ! dit-elle en tendant à Bertrand le sac qu’il avait oublié au sommet du cratère.
    Comme le jeune homme reste bouche bée, les bras immobiles, elle continue :
    - Merci car sans votre intervention, j’allais recevoir une volée de coups de chabouc !
    Enfin Bertrand retrouve la parole :
    - Vous… Vous êtes madame Desbassayns ? Merci pour mon sac. Mais comment… Comment se fait-il que vous soyez ici alors que je viens de vous entendre crier au fond du cratère ? Je ne vous ai pas vue passer pourtant ! Vous êtes vraiment… ?
    La vieille dame avance la main, la pose sur l’épaule de son vis-à-vis en souriant :
    - Asseyez-vous sur ce bloc de lave. Je vais tout vous expliquer.

    Et elle se met à raconter, à réciter presque, avec un plaisir non dissimulé ; on dirait que cela fait des siècles qu’elle n’a pas tenu de conversation. Elle dévoile l’existence d’un passage souterrain allant du cratère à la chapelle : elle l’a emprunté pour devancer Parvédy. C’est la première fois qu’elle le fait, seule. C’est la première fois également que son propriétaire, le puissant Grand-Diable se laisse aller à la clémence sous une influence extérieure : malgré ses cris et ses pleurs, jamais son chef n’avait remis une punition à plus tard lorsque l’envie de voir une éruption volcanique tout détruire sur son passage le prenait. Il adore entendre le rugissement des flammes dans le foyer au centre de la cheminée ; il adore applaudir au jaillissement des fontaines de laves qui menacent le ciel ; il adore jouir de la violence des coulées qui brûlent toute vie et vont se mesurer à la force de l’océan dont elles font reculer les vagues… Comment donc, les injonctions du jeune homme ont-elles réussi à toucher le cœur de pierre de Grand-Diable ?

    - Mais, madame, l’interrompt Bertrand, pourquoi devez-vous subir les punitions de Grand-Diable ? Pourquoi de tels châtiments et pourquoi dites-vous qu’il est votre propriétaire ?
    - Comment vous n’avez jamais entendu les histoires qui courent sur mon compte ? Vous n’avez jamais entendu parler de la méchanceté d’Ombline Desbassayns ? Oh ! Ils ont bien raison ceux qui évoquent la diablesse que j’ai été… que je suis !

    Les épaules de la femme s’affaissent ainsi que sous le poids de mille péchés. C’est à ce moment que Parvédy remarque combien son visage est ridé et terne. Après un long soupir, Ombline Desbassayns reprend le cours de son histoire. De son vivant, elle a été « la seconde Providence sur terre » et « la diablesse sans cœur » à la fois. Elle ne sait pas pourquoi mais à certains moments — des moments de faiblesse, disaient ses amis — elle se sentait prise de pitié pour le sort de ses esclaves et parfois elle essayait d’adoucir un peu leur calvaire. A d’autres moments, au contraire, elle était sans pitié, même pour les enfants. Cette dualité de son âme l’a souvent déchirée et le fait encore maintenant. Après sa mort, c’est auprès de Grand-Diable qu’elle s’est réfugiée et cependant c’est vers le Maître du ciel que s’élèvent ses prières.

    C’est après le départ de son mari qu’elle avait dû prendre en mains les rênes de sa propriété : élever ses enfants et en faire des hommes capables de participer au développement de l’industrie de l’île ; s’occuper du destin de ses esclaves, leur faire donner une éducation religieuse… Elle ne cache pas non plus que dans ses moments de colère, elle tombait dans des actions de folle violence.

    Bertrand a l’impression d’être le confident de la vieille dame. Il s’attend presque à l’entendre prier « je confesse à Dieu… ».

    Le soleil est déjà haut dans le ciel lorsque l’ancienne propriétaire d’esclaves accepte une pause dans ses pitoyables confessions. Bertrand est gêné dans son rôle de voyeur. Il aimerait trouver un prétexte pour mettre un terme à la conversation. Heureusement il se souvient de son petit-déjeuner et, sous le regard attendri de celle qui ne sait plus ce qu’est la faim, il se met à avaler son riz chauffé*. A peine a-t-il terminé sa dernière bouchée, qu’une idée lui traverse la tête. « Si vous avez un peu de temps encore, j’aimerais vous faire rencontrer quelqu’un au bord de la mer ! Qu’en dites-vous ? » La vieille dame est d’accord : Grand-Diable lui a laissé sa liberté jusqu’au soir.

    - Qui allons-nous voir ?
    - C’est une surprise ! C’est une femme et elle aussi est déchirée par le déséquilibre de son âme.

    Les voilà en route. On ne marche pas : on survole les anciennes coulées de lave. Bientôt ils sont sur la côte sauvage où les énormes rochers noirs sont battus par des vagues ourlées d’écume blanche. Cependant ce sont de douces sonorités ouatées qui bercent les oreilles des deux arrivants. Bertrand se dirige vers l’entrée d’une grotte tandis que madame Desbassayns ralentit le pas comme si elle craignait de voir apparaître quelque chose d’effrayant et d’agressif.

    - Il y a quelqu’un ? crie le jeune homme.
    - C’est toi, Bertrand ? Entre !

    Parvédy courbe bas la tête pour se glisser dans l’étroite ouverture. « Elle » est là, à son habitude, assise dans un coin, sur une vieille chaise du Gol* ; la capeline défoncée sur le crâne, les épaules écrasées par le poids des ans, « elle » sourit.

    - Bonjour Kalle !
    - Bonjour, mon enfant !
    - Je t’ai amené de la visite.

    Le visage s’éclaire ; les yeux s’allument…

    - Une visite ? Enfin ! Qui est-ce, mon enfant ? Tu ne sais pas ce que c’est que de vivre seule comme moi ! Qui est-ce ? Qui est-ce, mon enfant ?
    - Mais Kalle, tu ne me laisses pas le temps de te répondre. Et de toute façon, c’est une surprise. Viens ! ajoute le garçon en prenant la main de la vieille.

    Mais ne voilà-t-il pas que dès que cette dernière lève la tête à la sortie de la caverne, elle pousse un cri d’horreur et essaie d’arracher sa main de celle de Bertrand pour faire marche arrière ! L’homme doit la retenir de toutes ses forces.

    - Ah, non ! Pas elle ! hurle la Cafrine. C’est ça ta surprise ? Je ne veux pas voir cette diablesse d’esclavagiste devant ma porte !

    Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, madame Desbassayns, elle, ne recule pas. Elle regarde la scène comme étonnée et un peu navrée. Bertrand réagit vite et ramène son amie à l’entrée de la grotte. Doucement il lui dit : « Kalle, cette ancienne esclavagiste est une femme pareille à toi et elle paie cher ses crimes. N’oublie pas que toi aussi tu passes pour une méchante vieille sorcière dévoreuse d’enfants. As-tu jamais demandé pardon pour tes mauvaises actions ? Ne vois-tu pas que ta solitude est un châtiment du ciel ? Allez ! Viens ! Ombline t’attend. »

    Ombline ? Il l’a appelée Ombline ? Il aurait de l’empathie pour elle ? De la sympathie même ? Cela voudrait dire que, lui, est capable d’oublier, de pardonner ? Est-ce que la génération d’aujourd’hui regarde le passé avec des yeux neufs, le juge avec un cœur et un esprit nouveaux ? Kalle doit-elle comprendre que sa descendance a besoin de se réconcilier avec son histoire ? La Cafrine se gratte la tête… Bertrand comprend sa réticence mais ne s’avoue pas vaincu.

    - Tu as raison : Ombline est une esclavagiste, était une esclavagiste. Elle le paie maintenant. Sais-tu qu’elle a été condamnée, à son tour, à être esclave ? Esclave du maître de la Fournaise… Sais-tu qu’elle est fouettée au chabouc pour chauffer le volcan et le faire entrer en éruption ? Sais-tu qu’elle pleure encore l’image que notre peuple lui a collée au front ? Elle est et restera pour l’éternité une diablesse. Je connais ton cœur de mère et de femme : tu ne peux rester insensible au malheur des autres et Ombline est malheureuse.

    Kalle continue de se gratter la tête ; son front se plisse ; ses yeux se ferment à demi. Bertrand sent une certaine hésitation prendre le dessus sur la détermination de son amie. N’y a-t-il pas de l’humidité sous les paupières de son vis-à-vis ? Doucement, timidement, la vieille cherche enfin la main du jeune homme, la saisit, la serre et elle se laisse conduire.

    Les pas sont un peu lourds de gêne et de doute, mais voilà que ceux d’Ombline se font légers. La rencontre a lieu dans une atmosphère presque amicale…

    - Je voudrais tant que les descendants d’esclaves et d’engagés me pardonnent par ta voix ! soupire la femme blanche en se jetant à genoux devant la noire.
    - Relève-toi et oublions nos agressions mutuelles ! dit Kalle en prenant les épaules de l’autre. On ne demande pas à un cyclone de réparer les dégâts que son passage a causés : on les répare tous ensemble !

    S’ensuit une longue conversation entre les deux femmes, entrecoupée de pleurs et d’embrassades et à laquelle le fils de l’engagé évite de prendre part. Quand enfin les épanchements d’une amitié nouvelle cessent, personne n’est plus heureux que Bertrand Parvédy. Il prend les deux vieilles dans ses bras et les embrasse.

    - Que diriez-vous si j’appelais chacune d’entre vous « grand-mère » ? demande-t-il.

    Le sourire sur les lèvres fripées dit la joie et la reconnaissance qu’une telle proposition fait naître au fond des deux cœurs. Et Bertrand continue :

    - Vous êtes nos grands-mères à tous, noirs et blancs, enfants du métissage imposé par l’histoire. La dualité de notre peuple est née avec vous. Toi, Kalle, tu as connu la jouissance des grands moments de vengeance et de cruauté mais tu as subi la solitude et la douleur. La souffrance, tu l’as endurée courageusement. Toi, Ombline, tu as poussé la férocité jusqu’à ignorer l’essence humaine dans le corps de tes esclaves mais tu as accepté la terrible punition de voir ton âme appartenir au démon et sans doute cette punition ne prendra-t-elle fin qu’avec la fin du monde. Toutes les deux vous portez en vous la coexistence des principes qui ont créé notre univers : le bien et le mal. Nous sommes vos enfants.

    Soudain une légère secousse fait trembler le sol sous les fesses de Bertrand Parvédy et… il se réveille. Là-bas derrière les nuages, un soleil radieux signe la promesse d’une belle journée. Est-ce pour cela que le cratère Bory veut, lui aussi, profiter de la fête en se secouant ? En tout cas, il faut quitter les lieux, et vite, Bertrand Parvédy, fils d’engagé* !

    La femme devenue vache

    ou Pourquoi les indiens ne mangent pas du bœuf

Mon frère aîné chantait toujours un air de séga dans lequel on parlait de « kari »*, de « baton mouroung »* ou de « masalé »*...

Si vous me demandez pourquoi, je vous répondrai que cela cadrait bien avec sa nature. En fait mon « anin » était un bon mangeur et dès qu’il entendait les mots « kari », « baton mouroung » ou « masalé », cela lui faisait venir l’eau à la bouche, de l’eau au goût de lait. Le lait était justement son aliment préféré.

Rien que d’y penser, il sentait monter en lui un flot de reconnaissance et de remerciement pour toutes les vaches du monde et cela lui rappelait une histoire qu’il adorait, celle de « La femme devenue vache » ou « Pourquoi les Indiens ne mangent pas du bœuf »…

Toultan mon gran frèr té i shante in ti romanse dedan i parl « kari », « baton mouroung », « masalé » tousala... Akoz ? zot va di amoin. Akoz margoz lé amèr mé lo grin lé dou. Parlfèt, mon anin té in bon manzër é kank li té i prononse lo mo « kari », « baton mouroung », « masalé » tousala, son boush té i fé d-lé. Oui, zot la bien antandï : son boush té i fé do-lé, pa do-lo ! Konmsipoudir lër-là, li té i transform an in fémèl bëf, in vash…

Dayër, an parlan-d vash, so moman-là, lavé pa bezoin flate ali pou rakonte in zistoir fémèl bëf. Atann in kou ! M’a voir si mi ansouvien lo zistoir li té i rakonte.

* Kari : plat, mets, préparation culinaire.

* Bâton mouroung : fruit comestible du mouroung (Moringa pterygosperma).

* Masalé : poudre de diverses épices broyées ensemble.

Il était une fois, il y a bien longtemps, si longtemps que les Dieux et les Saints vivaient encore sur la terre, dans un pays lointain sis de l’autre côté de l’océan, un pays tellement immense qu’il n’y avait pas assez de gens pour le remplir, habitait une jeune femme.

Elle s’appelait Dévna et restait dans une paillote aux murs de torchis. Elle n’avait pas de père et sa mère l’avait abandonnée depuis des années car elle était jalouse de la beauté de sa fille. Pour gagner sa vie, la jeune femme cultivait du riz pour les gens. Dès sa sortie de l’adolescence, la Dévna se sentit convoitée par tous les hommes de son village qui prenaient des poses avantageuses en la voyant. En vain ! Elle était sérieuse et le sexe masculin ne l’intéressait guère. Le temps passait et de jour en jour notre jeune fille devenait plus belle : on la regardait, les yeux gourmands ; on soupirait, le cœur lourd de regrets !

In foi pou in bone foi, nana lontan, lontan mëm, sitan lontan ke toute Bondië, toute bann Sin té i viv ankor sï la tèr, lavé in péï distansé lot koté la mèr ; péï-là lété Linn ; li té sitèlman gran ke lavé poin asé domoun pou ranpli ali ; tèr-là, in zënefiy malbarèz té i arès tousël dan in boukan an tèr èk lo mïr torshi.

El té i apèl Dévna. El lété san papa é son manman lavé anbandöne aèl dopï kék zané akoz sad-là té grokër la boté son fiy. Pou guingn la vi, Dévna té i plante do-ri pou domoun. Tèl Dévna la vnï zënefiy, toute lo zonm son vilaz la mèt a marsh an zënezan karnër mé zot té i pèt dann vid : lo manmzèl té sériëz é bann portër kïlote té i intérès pa èl… Lo tan la dévir kék paz dan son kalpin é zour an zour, lo zënefiy té i dovien plïzanplï kalou. Lo zonm té i kontinïé rogard èk lo zië pou fini èk lo kër.

Un jour, le propriétaire pour qui elle travaillait, s’arma de courage et, un bouquet de fleurs à la main, alla la demander en mariage. Il était de bonne prestance et surtout il possédait beaucoup de terre et d’argent. Mais Dévna lui sourit, le remercia pour son honnête intention et finalement lui dit qu’elle ne pouvait se marier. L’homme ne se découragea pas. Il décida de se rendre au « koïlou »* du Dieu de l’amour. Il apporta à ce dernier une tonne d’offrandes : des sacs remplis de coqs égorgés, d’énormes grappes de noix de coco, des paniers entiers de bâtonnets d’encens et des caisses de carrés de camphre.

Le Dieu de l’amour regarda tout cela et se demanda : « Qu’est-ce que tu crois ? Parce que tu es riche, tes volailles peuvent m’acheter ? » Mais il écouta le gros propriétaire tout de même. Celui-ci fit une prière et confessa qu’il était amoureux à mort d’une jeune fille dont il décrivit la grande beauté.

In zour lo patron Dévna té i travay sou la koupe, la pran in kër, la prézante aèl in bouké flër, la domann aèl an mariaz. Li lavé in bon préstanse épï sïrtou li té propriétèr bonpë la tèr, bonpë zar larzan. Mé lo zëne fanm la souri, la romèrsié ali pou lonékté son lintansion épï la di èl i pë pa marié. Lo gro propriétèr la pa larg lo kor épïsa, in lër, li la désid alé voir Bondië lamour dan son ti koïlou. Li la aporte in gropaké zofrann : sépa konbien goni plin kok noir lo kou koupé ; bèl-bèl grape koko ; baton lansan par boite ; karé kanf kès pardsï kès…

Bondië lamour la rogard tousala, la di dan son kër : « kosa ou kroi ? Parske ou lé rish, out bann volay kab ashté amoin ?” mé li la akoute lo groblan kantmëm. Sad-là la fé in prièr, la konfès li té amourë a mor, la dékri zoliès sanborn lo zënefiy li té i ëm.

* Koïlou : temple hindouiste.

Le Seigneur du koïlou le remercia pour tous ses cadeaux et lui promit de faire ce qu’il pouvait pour l’aider. Lorsque le richard reprit la route pour rentrer chez lui, le Dieu fronça les sourcils, plongea dans une profonde réflexion : c’était la première fois qu’il entendait parler de la beauté d’une femme avec des mots tellement émouvants. Il en était bouleversé…

Finalement il se résolut à rendre visite à la jeune fille si belle, pour la voir de ses propres yeux.

Bondië lamour la di ali mèrsi pou son avsion, épï li va voir kosa li kab fé. Kank lo gro propriétèr la tourn lo do pou rante son bèl kaz a étaz, lo Bondië la friz lo fron, la plonz dan in réfléksion : promié foi li té i antan parl la boté in fanm sanm lo mo sitan émosionan !

Son kïriozité té éksité é finnkonte li la pran lo désizion alé voir par son prop zië lo zënefiy sitan katogan.

Ce soir-là, Dévna était en train de prendre son maigre repas fait d’une boule de riz froid arrosé d’un « bouillon larson »* très épicé, quand elle sentit une espèce de courant d’air lui caresser la joue : c’était tiède, c’était doux… La flamme de sa lampe à pétrole se mit à frissonner de plaisir puis à danser. La jeune fille continua d’avaler son dîner tout en ayant l’impression d’être observée par une paire d’yeux. Son repas terminé, elle se lava la bouche, fit sa toilette et se pelotonna dans son lit. Elle ne tarda pas à s’endormir. Elle fit un rêve, un joli rêve dans lequel un Dieu lui rendait visite, lui souriait, lui caressait la peau.

A un moment même, il lui sembla que le Dieu lui murmurait à l’oreille : « Merci pour le cadeau que tu m’as fait ! » Cadeau ? Quel cadeau ? Dévna n’avait pas souvenance d’avoir offert quoi que ce fût à qui que ce fût, même pas le parfum d’un bâtonnet d’encens… Le Dieu continua : « Pour ta récompense, toute ta vie tu resteras jeune, toute ta vie tu resteras belle, mais méfie-toi de l’amour ! Méfie-toi de l’amour ! »

Lo soir-là, Dévna té trinn manz son gazon do-ri fré arozé èk in bouyon larson bien pimanté lèrk èl la santi konmsipoudir in kourandèr té i pamine son zou : té tièd, té dou… La flam son ti lanpe pétrol la mèt a frisoné épï a dansé èk kontantman. Lo zënefiy la kontinïé anval son boushé manzé mé èl lavé linprésion konmsik dë zië té i soukante aèl. Apré son ropa, èl la lav son boush, la fé son toilèt épïsa la kokiyass dan son li. La pa tardé pou èl guingn somèy. Là, èl la fé in rèv, in zoli rèv ousa in Bondië té i rann aèl vizite, té i souri sanm èl, té i karès son po.

Mandoné mëm, sanm pou èl, lo Bondië la basvoizé dan son zorèy : » Mèrsi pou lo kadofrann ou la döne amoin ! » Kadofrann ? Kèl kadofrann ? El lavé poin souvnanse avoir ofèr kiksosoi koiksosoi, mëm pa in pë sanbon oulpati … Lo Bondië la kontinïé : « Pou out rékonpanse, toute out vi ou va rès zëne ; toute out vi out boté va rès intak ; mé méfié aou lamour… méfié aou lamour ! »

* Bouillon larson : bouillon très épicé à la mode indienne.

Une seule fois, la jeune femme fit un tel rêve. Et le temps déploya ses ailes. La vie prit racine et le ventre de Dévna se mit à marcher devant elle.

Neuf mois après son rêve elle donna naissance à un bébé, un petit garçon beau comme un Dieu !

Inkou solman Dévna la fé in rèv tèlkesa ; épï lo tan la tal son zèl ; la vi la pran rasine dousman é lo vante lo zëne manmzèl la komanse marsh dovan èl.

Nëf moi apré la nuite-là, lo Malbarèz la döne nésanse in tibaba, in garson zoli parèy in Bondië.

Plus tard elle reprit son travail. Un soir, la jeune maman arriva chez elle, fatiguée par une journée passée le dos courbé sur les plants de riz et… hélas ! Seigneurs Dieux de la « Trimurti »*… Son enfant n’était plus là ! Elle le chercha partout, alerta tout le village mais en vain. C’est alors que l’on remarqua quelque chose : la voisine de Dévna qui gardait le petit garçon pendant que la mère était dans les rizières, avait disparu également. La pauvre Malabaraise versa toutes les larmes de son corps. Elle était sur le point de mourir de douleur.

Le temps passa les yeux fermés pour ne pas voir le triste spectacle du désespoir de la malheureuse maman… Vingt années…

Plï tar, èl la ropran son travay é, dan in fin laprémidi, lo zëne manman la artourn son kaz fatigué par in zourné pasé lo do kourbé desï bann plan do-ri é… Brama ! Vishnou ! Shiva ! Ayo !... son ti garson té pï là ! El la rod partou ; la apèl minforte toute lo vilaz… Pï- d tibaba ! Epï toulmoun la romark kékshoz : voizine Dévna ke té i okïp lo marmay la zourné, lavé disparèt galman. Lo pov momon la vèrs larm konm in robiné rouvèr. Lo vilaz té i kroi èl té i sar mor sanm doulër dann kër. Lo tan la avansé an fèrman lo zië pou pa voir péstak dézéspoir lo malerë manman… Di z-an… Vin t-an…vinn-sink an…

* Trimurti : la Trimurti représente les trois principaux dieux dans l’hindouisme.

Par une fin d’après-midi, Dévna était devant le robinet public, attendant que son seau se remplisse. Au moment où elle se baissa pour prendre son récipient, une main glissa devant la sienne.

Elle leva la tête. Un jeune homme la regardait en souriant. Jamais depuis sa naissance, elle n’avait vu un garçon aussi fringant, aussi fin de traits. Elle ne pouvait empêcher ses yeux de caresser le front largement découvert de l’homme. Là-dessus, toute la nature sembla s’éclaircir pour l’éblouir encore plus et alors ses lèvres se disjoignirent pour peindre un sourire sur son visage.

In soir Dévna té dovan la fontëne apou atann son séo i ranpli. O moman èl la bésé pou trape son bakténër, in min la pass pardsï lé siëne.

El la lèv la tèt. In zëne boug té i rogard aèl an sourian. Zamé dopï son nésanse, èl lavé vï in garson osi fringan, èk lo tré osi fin. El té i vienpabou anpèsh son zië pamine lo fron larzman dékouvèr lo bononm. Zïss lër-là, andiré, toute la natïr la klèrsi nèt pou anblouï lo madam plïss ankor : son lèv la dékolé pou pinn in sourir sï son figuïr.

- Excusez-moi de vous dire cela, mademoiselle : comme vous êtes belle ! Pourriez-vous me donner un peu d’eau s’il vous plait ? dit le jeune homme, la voix hésitante.

- Oui… oui… oui…

- Eskïz amoin di aou sa, manmzèl : koman ou lé zoli ! Eske ou pouré döne amoin in pë d-lo siouplé ? lo zëne boug la di prèsk an béguéyan.

- Oui… oui… oui…

Les mots tremblaient dans la bouche de Dévna et son visage rosit. Elle tourna le dos, se précipita derrière la fontaine où un ruisselet rampait, bordé tout au long de son cours par des plants de taro. Elle cueillit une feuille et, vite, la remplit d’eau, la tendit au garçon.

- Merci, mademoiselle ! Vous êtes aussi gentille que belle. Partout où je suis passé, je n’ai jamais vu une jeune fille comme vous !

Bann mo té i tranm dan la boush Dévna an mëm tan son figuïr té i anrozi. El la dévir lo do, la kour dèrièr lo fontëne ousa in filasdo, èk pié sonz toudïlon, té i gliss dousman. El la kass in fëy, la fé lo vif pou anpar do-lo dedan épï la ofèr lo zëne garson.

- Mèrsi manmzèl. Ou lé osi zanti ke ou lé zoli. Partou ousa moin la pasé, zamé moin la rankonte in zënefiy parèy ou.

Dévna se sentait vraiment gênée. Il y avait de quoi ! Elle se savait jolie : beaucoup d’hommes le lui avaient répété mais là, la voix qui disait cela était tellement douce qu’elle ne voyait plus que faire. Et puis pourquoi ce jeune homme l’appelait-il mademoiselle alors qu’elle avait dépassé la cinquantaine ? Elle avait envie de le lui demander mais les mots refusaient de sortir de sa bouche. L’homme l’aida à soulever son seau et c’est, sans tourner la tête qu’elle prit le chemin de sa paillote.

Cette nuit-là, Dévna eut l’impression d’entendre quelqu’un souffler dans son oreille des paroles qui l’avaient flattée longtemps auparavant… toute ta vie tu resteras jeune… toute ta vie tu resteras belle… méfie-toi de l’amour… Oui, elle s’en souvenait. C’était au cours d’un rêve. Un Dieu avait murmuré cela... Une trentaine d’années bientôt… Alors, était-elle réellement encore jeune ? Etait-elle encore tellement jolie ? Etait-ce un cadeau de ce Dieu en fin de compte ?

Dévna té i san aèl zéné. Navé dokoi ! El té i koné èl té zoli : bonpë lo zonm lavé déza di aèl sa, mé là, lo voi té i répèt sa té sitan dou ke èl té i koné pï kosa fèr. Epï, akoz garson-là té i apèl aèl « manmzèl » alork èl lavé plïss ke sinkante lané sï son tèt ? El lavé anvi domann ali mé okin mo té i sorte pï dan son boush… Lo bononm la èd aèl soulèv lo séo é, san dévir la tèt, èl la pran shemin son payote.

Lo soir-là, èl la antandï konmsik in moun i basvoiz dan son zorèy parol lavé déza flate aèl bien lontan avan… toute out vi ou va rès zëne… toute out vi out boté va rès intak… mé méfié aou lamour… El té i rapèl in Bondië lavé di aèl sa dan in rèv… Plïss ke vinn-sink an talër. Alor èske té vré èl lété ankor zëne, èl lété ankor sitan zoli ? èske lété in don Bondië-là lavé kado aèl ?

Quelque part plus loin, de son côté, le garçon n’arrivait pas à fermer l’œil. Toute la nuit, un portrait tint ses paupières largement ouvertes. Jamais, non jamais il n’avait vu une jeune fille aussi belle. Une vraie déesse indienne ! Elle était mille fois plus jolie que la femme qu’il avait appelée maman — petit, il prononçait « manman » — et qui, sur son lit de mort, lui avait confessé qu’elle n’était pas sa vraie maman.

- Ta mère a le même âge que moi ; elle était la plus belle femme de tout le pays. Pardonne-moi de t’avoir enlevé à son amour mais tu étais tellement beau et… je ne pouvais pas avoir d’enfant ! Pardon, mon fils !

Kékpar plï loin, de son koté, lo zëne garson té i guingn pa somèy dïtou. Toute la nuite in portré la tienbo son dë podzië gran rouvèr. Zamé, non zamé li lavé vï in zënefiy osi kalou. In vré mazifé ! El lété mil foi plï zoli ke lo fanm li lavé apèl maman – tanpti, li té i prononse « manman » - é ke lavé konfès èk li sï son li-d mor, èl lété pa son vré momon.

- Out momon na mëm laz ke moin ; èl lété lo plï zoli fanm dan toute lo péï. Pardöne amoin avoir sépar aou èk son lamour ; mé ou lété sitan miyon, mon garson ! Moin té i guingn pa avoir zanfan. Pardon, pardon mon garson !

Il se souvenait que, petit, il faisait souvent un rêve dans lequel il jouait avec une fillette aux cheveux noirs et brillants comme les siens, aux yeux noirs et brillants comme les siens également. Est-ce que la jeune fille qu’il avait rencontrée au robinet public n’était pas celle qui habitait ses rêves à l’époque ? Est-ce que le destin n’avait pas mis sur son chemin celle qui était faite pour lui depuis le premier jour ? Le fait que cette femme avait les mêmes cheveux, les mêmes yeux que lui, l’avait frappé tout de suite. A ce moment-là il aurait dû l’observer de façon plus détaillée : il aurait peut-être trouvé d’autres ressemblances entre eux deux et ça l’aurait vraiment convaincu que cette fille lui était destinée. Il avait juste remarqué un point : de temps en temps il y avait comme un voile de tristesse qui traversait les yeux de la jeune femme et assombrissait leur brillance.

Lo boug té i ansouvien, tanpti, li té i rèv souvan li té i zoué sanm in ti fiy ke lavé shevë noir é briyan parèy lé siëne, ke lavé lo zië noir é briyan parèy lé siëne galman. Eske lo zënefiy li lavé rankontré koté la fontëne i sré pa lo mëm ti fiy té i abite dan son rèv lépok-là ? Eske la déstiné lavé pa mèt sï son shemin lo fanm lété fé pou li dopï lo promié zour ? Lo mashin fanm-là lavé mëm shevë ke li, mëm zië ke li tousala, sa lavé frape ali toudsuite. Lër-là, li noré dï détay aèl anlèr zïska anba : somanké li narté trouv dot rosanblanse rante zot dë pou bien amontré manmzèl-là té vréman déstiné pou li. Zïss in trïk li lavé romarké : dan lo zië zënefiy-là, tanzaote, in lézé voil la tristès té i pass é té i ansonbri zot briyanse.

Quelques jours plus tard, par le fait du hasard, alors que Dévna quittait son champ de riz pour rentrer chez elle, elle buta sur le jeune Malabar. Ils firent la route ensemble tout en s’entretenant de choses et d’autres comme deux jeunes gens qui se fréquentaient depuis longtemps.

Ce soir-là, l’homme trouva l’occasion de mettre les pieds dans la paillote de Dévna. Il ne put résister au charme de la jeune femme, ouvrit les bras comme pour l’enlacer et lui demander de l’épouser. Les lèvres de Dévna s’arrondirent pour dire oui…

Kék tan plï tar…

Sépa koman sa la spasé, lèrk Dévna la kite son karo do-ri pou artourn son kaz, èl la bïte sï lo zëne Malbar. Zot la fé in boute shemin ansanm, toute an blagan konm dë zënezan ki frékante inn a lot dopï in bon bout-d tan.

Lo soir-là, lo garson la niabou mèt lo pié dann payote Dévna. Li pa guingn rézisté plï lontan : li la rouvèr lo bra konm pou braskorte lo fanm é la domann aèl an mariaz. La lèv Dévna la arondi pou di oui…

Juste à ce moment, là-haut dans le ciel où il était monté se reposer, le Dieu de l’amour vit ce qui allait se passer. Vite, il fit un geste et aussitôt Dévna se changea en une vache. Une si belle vache ! Des poils noirs et brillants ! Des yeux noirs et brillants également. Un léger voile de tristesse traversa ces derniers et en assombrit la brillance. Et la vache se mit à meugler : « Manh ! Manmanhh ! Manman ! »

Un grand frisson secoua tout le corps de l’homme. Ses bras tombèrent et se refermèrent autour de la tête de l’animal. Ses lèvres déposèrent un baiser au milieu du grand front. Deux perles de larme coulèrent doucement le long de son nez et il murmura :

Manman ! Manman ! Je suis Soundran, ton fils. Pardon maman ! Je t’ai manqué de respect. Tu es ma mère depuis toujours et pour toujours ! Maman ! »

Zïss moman-là, là o dann sièl ousa li té parti ropozé, Bondië lamour la vï sa-k té i sar spasé ; san virviré li la fé in zès ; pasito, lo fanm la shanz an bëf. In vash sitan katogan ! La poil noir, briyan ; lo zië noir, briyan galman. In lézé voil la tristès la pass dan sad-là, la ansonbri zot briyanse : lo vash la mèt a krié « Maaan ! Manmaaan ! Manman ! »

In gran frison la sokouy toute lo kor lo zëne boug. Son bra la tonbé é la rofèrmé otour la tèt lo zanimo ; son lèv la dépoz in gro béko o milië lo gran fron é dë pèrl-larm la koulé dousman toudïlon son né. Li la basvoizé :

Manman ! Manman ! Sé moin Soundran ! Amoin out garson ! Manman, pardon ! Moin la mank aou réspé : pardon ! Ou sé mon momon dopï touzour é pou touzour ! »

Et c’est depuis ce temps-là que les Indiens ne mangent plus de la viande de bœuf.

Ils voient en la vache la maman, la mère nourricière, une source d’amour qui mérite qu’on la respecte, quelle que soit la façon dont on entend le mot « respect ».




Konsamëm, dopï so tan-là, Malbar i manz pï bëf.

Dan in vash, zot i voi in manman, in momon nourisié, in sourse lamour ki mérite i réspèk ali, kesoi lo fason ni antan lo mo “réspé”.

En guise de conclusion


Pour conclure très brièvement, le plaisir d’écrire n’a d’égal, à mon avis, que celui de raconter, de faire vivre un conte. Ils dépendent tous deux de ces magiciens que sont les mots. Et en retrouvant le tutoiement qui unit ordinairement le conteur et son public, je peux dire que je viens d’avoir la chance de goûter aux deux à la fois, grâce à toi, Public.

Ni artrouv ! (Comme l’on dit dans notre langue pour souhaiter de se revoir).

Le conteur interpelle son public
Le conteur interpelle son public.
Photographie : Grégory Ah-Kiem.


Le conteur interpelle son public
Photographie : Grégory Ah-Kiem.



Mokléré / Glossaire


  • Bardzour : l’aube (de la culture réunionnaise).
  • Bâton mouroung : fruit comestible du mouroung (Moringa pterygosperma).
  • Bondié malgash : Dieu malgache.
  • Bouillon larson : bouillon très épicé à la mode indienne.
  • Chabouc : fouet avec lequel on frappait les esclaves.
  • Chaise du Gol : chaise paillée, fabriquée dans la région du Gol (sud de l’île).
  • Déor : ailleurs.
  • Enclos : effondrement géologique formé dans Le Piton de la Fournaise. Le Piton de la Fournaise se présente sous la forme d’un entonnoir renversé au milieu d’un effondrement plan et circulaire « clôturé » par de hautes falaises. L’effondrement est appelé l’ « enclos ».
  • Encordée (ou laves cordées) : laves durcies dont l’aspect rappelle celui de grosses cordes entrelacées.
  • Enfant ramassé : enfant abandonné et confié à l’assistance publique ; enfant adopté.
  • Engagés : travailleurs engagés pour remplacer les esclaves affranchis.
  • Gramoun : vieux, grand-père, grand-mère.
  • Granmèr : grand-mère, vieille femme.
  • Gros Blancs : propriétaires d’esclaves.
  • Kari : plat, mets, préparation culinaire.
  • Koïlou : temple hindouiste.
  • Koudsèk : verre de rhum.
  • Kriké ! - Kraké ! : Formules d’ouverture d’un conte entre le conteur et le public.
  • Lambrequiner : border (néologisme créé à partir de « lambrequin »).
  • Masalé : poudre de diverses épices broyées ensemble.
  • Nénène : bonne d’enfants.
  • Pays-dehors : qui est extérieur à La Réunion.
  • Péï-déor : l’extérieur.
  • Pongal : grande fête du début de l’année en Inde du sud.
  • Rakontaz : contage.
  • Rakontèr, rakontèr zistoir : conteur amateur.
  • Riz chauffé : riz resté de la veille, réchauffé et servant de petit-déjeuner.
  • Salvèrt : salle faite de branches et de feuillages construite en plein air lors des veillées mortuaires.
  • Tay : Caca.
  • Ti-ban : petit siège bas.
  • Trimurti : la Trimurti représente les trois principaux dieux dans l’hindouisme.
  • Vavanguer : s’aventurer.

add_to_photos Notes

[1Les termes entre guillemets marqués d’une * sont définis dans le glossaire en fin de texte.

[2Notamment : BARAT Christian, 1989. Nargoulan : Culture et rites malbar à La Réunion. Approche anthropologique. Saint-Denis (Réunion), Edition du Tramail ; BARAT Christian, CARAYOL Michel et VOGEL Claude, 1977. Kriké-Kraké : recueil de contes réunionnais. Travaux de l’Institut d’anthropologie sociale et culturelle de l’océan Indien, n°1, RCP 441 du CNRS, centre universitaire de la Réunion.

[3Granmèrkal vient de « Granmèr »* et de Kal, Kalle ou Kala, supposés prénoms de la vieille femme. Chacun est libre d’avoir un avis sur l’origine du prénom : origine indienne (Kali), origine malgache ? Mais à ma connaissance, personne n’a donné ce prénom à sa descendance.

[4Le roi des Cafres, c’est à dire des esclaves et descendants d’esclaves d’origine africaine.

[5Cf. http://udir.org/ ; le site contient, entre autres, l’introduction de Daniel Honoré à son livre sur les proverbes réunionnais (http://udir.org/debats/61-le-creole/130-les-proverbes-reunionnais-par-daniel-honore) (note de l’éditeur).

[7Voir le texte « Rêve sur un volcan », puis deux textes sur des contes venus de l’Inde.

[8« Rêve sur un volcan » et « Le rêve du fils de l’engagé » : sont les deux titres donnés à ce conte. La version créole veut porter l’accent sur le désir du héros (donc d’une bonne partie de la population réunionnaise) de réconcilier les deux personnages (l’esclave et l’esclavagiste, l’engagé et l’employeur), historiquement opposés l’un à l’autre. La version française (au moins en ce qui concerne son titre) veut davantage mettre l’accent sur l’histoire de l’engagisme. La version française de « Rêve sur un volcan » se caractérise par son aspect littéraire car ce texte a été écrit pour être édité. L’éditeur parisien m’avait demandé d’écrire une nouvelle ou un conte pour illustrer un historique de l’engagisme. J’ai choisi la seconde possibilité. En l’état, le texte serait malaisé à raconter ; la version créole est plus facile à faire vivre en conte (la langue y est pour beaucoup).

[9Dévélou et Soubramini sont des prénoms de mon invention, de consonance tamoule.

Pour citer cet article :

Daniel Honoré, 2013. « Le conte créole réunionnais ». ethnographiques.org, Numéro 26 - juillet 2013
Sur les chemins du conte [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2013/Honore - consulté le 19.04.2024)
Revue en lutte