Des marqueurs rituels.
Ethnographie d’une messe tridentine

Résumé

Cet article, qui se fonde sur une enquête ethnographique menée auprès d’une communauté chrétienne de type traditionaliste, propose une approche formelle et non interprétative d’une messe tridentine. En effet, à partir de trois distinctions simples, les paroles, les gestes et les déplacements qui constituent ce rituel compliqué, dit entièrement en latin, y sont considérés comme des unités qui ne font pas sens a priori et qui ne se laissent pas structurer objectivement, mais qui s’organisent et interagissent entre eux, notamment en se marquant des débuts et des fins qui les distinguent et les coordonnent ; chaque messe tridentine particulière apparaît alors comme une composition toujours en train de se faire, suivant des règles précises qui préoccupent davantage les fidèles que les éventuelles significations du rituel.

Abstract

This article, which is based on an ethnographic survey carried out at a traditionalist type of Christian community, offers a formal non-interpretative approach to a Tridentine mass. Indeed, starting from three simple distinctions, the words, gestures and movements constituting this complicated ritual, said entirely in Latin, are regarded there as units which a priori do not have meaning and which do not permit of objective structuring, but which are organized and interact between themselves, especially in marking the beginnings and ends which distinguish them and coordinate them ; each particular Tridentine mass then appears as a composition always being constructed, following precise rules which preoccupy the participants more than the possible significances of the ritual.

Sommaire

Table des matières

Introduction

Cet article se fonde sur une enquête ethnographique que j’ai menée entre juillet et décembre 2005 auprès d’une communauté chrétienne de Suisse romande pratiquant la messe tridentine. Par intérêt personnel, mais aussi parce qu’il me semblait que cette communauté s’y prêtait particulièrement bien, j’ai choisi d’approcher ce rituel compliqué, dit entièrement en latin, d’un point de vue que j’appelle formel et non interprétatif. J’ai en effet défini la messe tridentine comme une simple suite de paroles et d’actes codifiés, que j’ai tenté de rendre dans sa réalité technique et pratique, telle qu’elle se présente à l’observateur-participant sur le terrain. Cette tâche n’étant pas aussi simple qu’on pourrait le croire, je n’ai pas intégré dans mes analyses les dimensions historiques, sociologiques ou encore théologiques de cette communauté et de ce rituel. Je ne pense pas, d’ailleurs, qu’elles m’auraient été d’une grande utilité pour rendre compte de mon terrain.

Quoi qu’il en soit, cette approche particulière de la messe tridentine m’a amené à développer trois idées simples, sur lesquelles se fondent les trois parties de mon article :

  • 1. Il faut distinguer le rituel des discours sur le rituel. Les pratiquants d’un rituel parlent rarement de cette activité. Quand ils le font, c’est à la demande de l’observateur, et ils produisent alors des discours de type interprétatif. Le plus souvent, ces discours ne portent plus sur le rituel en tant que suite de paroles et d’actes, et il ne faut donc pas leur attribuer une trop grande importance.
  • 2. Il faut distinguer le rituel des multiples manières selon lesquelles il est possible de le structurer. Un type de discours sur le rituel très répandu, et que produisent non seulement les pratiquants mais aussi les observateurs, consiste à organiser les paroles et les actes du rituel en parties. Les structures qui en résultent sont arbitraires, car non seulement il est possible de les multiplier à l’infini, et de plus elles sont toujours orientées vers un objectif qui traduit certaines valeurs.
  • 3. Il faut distinguer le rituel des éléments qui le composent. Le rituel n’est pas un tout homogène ; il est composé d’éléments hétéroclites souvent difficiles à comprendre et à mettre en rapport. Les éléments langagiers et gestuels qui le constituent doivent être approchés en eux-mêmes puis dans leur succession. Si l’on renonce aux discours sur le rituel et à ses hypothétiques structures, il est possible de rendre compte objectivement du rituel.

Ces trois distinctions me semblent raisonnables, car elles permettent de se concentrer sur ce que les acteurs sociaux font plutôt que sur ce qu’ils disent sur ce qu’ils font. Comme nous allons le voir, d’ailleurs, les membres de la communauté étudiée ne se préoccupent guère, à moins qu’on ne le leur demande, d’expliquer le rituel qu’ils pratiquent. Quand ils en parlent, c’est pour spécifier comment il doit se faire et non pourquoi il se fait, et cette prépondérance de la forme sur le contenu ressortira tout au long de notre analyse (illustrations 1, 2).

Rituel et discours sur le rituel

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il est plutôt rare que ceux qui pratiquent un rituel parlent de cette activité. Quand ils le font, c’est généralement à la demande d’un novice ou d’une personne extérieure au rituel. D’autre part, les discours qui en résultent se produisent toujours à part le rituel (avant ou après son effectuation et dans un autre lieu), et ils constituent souvent des interprétations (partagées par les autres pratiquants ou personnelles). Le rituel, au sens où je l’ai défini, à savoir une suite de paroles et d’actes codifiés, doit donc être clairement distingué des discours sur ces paroles et ces actes.

Voici quelques exemples de discours sur le rituel empruntés à mon terrain, et qui illustrent bien ces remarques générales tout en introduisant quelques particularités de la communauté étudiée :

  • 1. Un prêtre :

« Qu’en sais-je ? C’est comme ça... et tout remettre en cause en posant sans cesse des questions est typique de l’esprit moderne. Et d’ailleurs, Monsieur, vous savez très bien que ces nombres sont bibliques ! » [1]

  • 2. Une fidèle :

« Vous me posez une colle... ça fait un temps que je n’ai pas potassé mon Boulanger [un catéchisme dont l’auteur, un abbé, porte ce nom] ! Je vous le dirai dimanche si vous venez à la Sainte messe. Vraiment désolée. »

[J.-L. J.] « Je ne me rappelle pas que Boulanger traite spécifiquement de ce point. Mais selon vous, à quel moment ? »

« Ce n’est pas le problème... vous rendez-vous compte que je pourrais vous dire une bêtise ? »

  • 3. Une autre fidèle :

« L’autre jour, quand le prêtre a dit l’Ecce Agnus Dei [2], j’ai vu un ange flotter au-dessus du sanctuaire et qui me disait : “Votre G. [prénom de son époux décédé] va bien et il vous regarde !” ».

  • 4. Un autre prêtre :

« Chez les protestants, l’autel n’est qu’une vulgaire table à manger. Chez eux, ça peut encore aller... mais chez nous, il faut la consécration d’un évêque. Sinon il n’y a plus de Présence réelle [du Christ] à la messe. »

Ces quatre discours sur le rituel ont été produits à ma demande, et ont été tenus dans le narthex après l’effectuation proprement dite de la messe tridentine, c’est-à-dire à part le rituel. Ils constituent également des commentaires qui peuvent être interprétatifs, car ils ne rendent plus le rituel comme il est pratiqué, c’est-à-dire comme une suite de paroles et d’actes codifiés, mais organisent, justifient et expliquent ces paroles et ces actes. Nous pourrions simplifier en disant que, d’une part, les membres de la communauté étudiée ne les produisent pas d’eux-mêmes et que, d’autre part, les tentatives de réponses qu’ils constituent vont plus loin que l’objet mis en question par l’observateur, à savoir le rituel tel que je l’ai défini.

Les deux premiers exemples rendent bien compte du fait que des pratiquants différents (un prêtre et une fidèle) du rituel étudié ne se questionnent pas forcément sur cette activité. À moins qu’on ne le leur demande, ce qui fut effectivement le cas dans les exemples rapportés, ils ne se préoccupent pas de savoir pourquoi la plupart des missels qu’ils utilisent structurent la messe tridentine en dix parties principales, ou à quel moment le vin se transforme en « sang du Christ ». Mis à part ce relatif désintérêt, on notera également le recours à des références communes, ainsi que le caractère normatif de ces références. Pour m’expliquer le découpage de la messe tridentine en dix parties (citation 1), le prêtre rapporte ce nombre à une certaine signification qu’il a acquis dans les écrits bibliques, c’est-à-dire à une référence livresque commune ; la fidèle, au contraire, ne peut pas me renseigner, car elle a oublié ce qu’il est convenu de dire au sujet de la transformation du vin en « sang du Christ » (citation 2), c’est-à-dire une référence catéchétique commune. De plus, le positionnement de mes deux interlocuteurs par rapport à ces références traduit la valeur normative de ces dernières. D’une part, questionner le rituel semble constituer quelque chose de suspect pour les pratiquants. Le prêtre me signifie clairement qu’il est malvenu de lui poser ce genre de questions, auxquelles je devrais d’ailleurs pouvoir répondre par moi-même si j’étais de “bonne foi”. D’autre part, se prononcer sur le rituel ne semblerait admettre aucune marge d’erreur ou d’interprétation personnelle. Si la fidèle ne prend pas le risque de me répondre, ce n’est sans doute pas parce qu’elle n’a aucune opinion sur le sujet, mais plutôt parce qu’elle se méfie de cette opinion.

Considérons maintenant nos deux autres exemples. J’ai dit plus haut que les discours sur le rituel se produisaient comme à part de cette activité. Par cette expression un peu floue, je n’entendais pas, seulement, qu’ils se tiennent avant et après le rituel, ou dans des endroits différents de ceux où l’on pratique le rituel. Certains discours sur la messe tridentine, en effet, semblent aller plus loin que ce rituel en tant que suite de paroles et d’actes codifiés, et peuvent même, du point de vue de l’observateur-participant, s’en détacher complètement. Ils ne font pas qu’interpréter les éléments qui constituent le rituel, mais ils y ajoutent aussi de nouveaux éléments. Cette particularité de certains discours sur le rituel ne va pas de soi, et il y a donc lieu de les distinguer de ceux qui s’exercent sur des éléments factuels de la messe tridentine. C’est par exemple un fait que la plupart des missels proposent une structure de la messe tridentine en parties distinctes, et que les fidèles se référent à cette structure tout au long de la cérémonie. C’est également un fait que, à un moment donné du rituel, le prêtre présente une hostie et un calice en tant que « corps » et « sang » du Christ. Mais il est moins évident, par contre, de lier l’Ecce Agnus Dei à l’apparition d’un ange messager (citation 3), ou d’attribuer à l’utilisation d’une table spéciale la « Présence réelle » du Christ à la cérémonie (citation 4), deux choses dont le rituel ne parle pas, mais qui donnent lieu à des discours sur ses effets supposés.

Il ne s’agit pas, cependant, de nier l’importance de ces discours sur le rituel. La notion de « Présence réelle », par exemple, est un concept central dans la communauté étudiée ; il lui permet notamment de se distinguer d’autres communautés et d’autres cultes chrétiens. Renoncer à les prendre en compte, au fond, ne revient qu’à reconnaître qu’ils ne sont pas égaux au rituel tel que je l’ai défini, à savoir une suite de paroles et d’actes codifiés. C’est d’ailleurs une distinction que les pratiquants établissent eux-mêmes, puisque le plus souvent, ils ne parlent pas de l’effectuation de la messe tridentine si on ne les questionne pas à ce sujet. Mais il nous faut maintenant examiner de plus près un type particulier de discours sur le rituel, celui qui consiste à ordonner en parties les éléments disparates qu’il contient.

Rituel et structurations du rituel

La première distinction, celle qu’il y a lieu de faire entre le rituel tel que je l’ai défini et les discours sur ce rituel, m’a amené à en établir une deuxième : il y aurait, d’une part, des discours qui se basent sur des éléments du rituel (citations 1 et 2) et, de l’autre, des discours qui ajoutent au rituel de nouveaux éléments (citations 3 et 4). Mais si la plupart des discours qui relèvent de la deuxième catégorie se laisse aisément distinguer du rituel en tant que suite de paroles et d’actes, on ne peut pas en dire autant de certains discours qui relèvent de la première. Nous avons vu, par exemple, que les discours qui se rapportent à la structure de la messe tridentine semblent être liés étroitement au rituel au sens où nous l’avons défini. Ils se distinguent en effet des autres discours par leur dimension pratique, et ceci au détriment de l’interprétation. Les discours relatifs à la structure du rituel, particulièrement, semblent organiser l’effectuation de la messe tridentine plutôt que d’en tenter l’explication. Si la plupart des missels, ainsi, découpent en parties les éléments qui composent une messe tridentine, ils n’attribuent aucun sens à la structure qui en résulte. D’autre part, les officiants et les fidèles se servent concrètement de cette structure, et ceci pendant l’effectuation de chaque messe tridentine. C’est en se référant aux parties que définit leur missel qu’ils savent où ils en sont dans le rituel, c’est-à-dire à quel moment il faut faire et à quel moment il faut dire quoi. Sur le plan formel, aussi, les discours sur la structure semblent se confondre avec le rituel proprement dit. Les titres de chaque partie, par exemple, correspondent souvent à un mot qui est prononcé pendant la messe à l’intérieur de la partie en question (c’est le cas, entre autres, de l’Introït, du Kyrie et du Gloria) ; et, pour se référer à telle ou telle partie du rituel, les fidèles utilisent souvent les premiers mots qui la composent (comme dans la citation 3).

Faudrait-il, dès lors, renoncer à distinguer trop nettement le rituel tel que je l’ai défini de certains discours qui semblent se fonder directement sur lui ? Je ne le pense pas. Les possibilités qu’il y a de structurer une messe tridentine (et tout rituel), en effet, sont nombreuses ; et les structures qui en résultent, loin de faire partie du rituel, traduisent des options qui ont été prises par leurs auteurs ; elles ne constituent au fond que des structurations. Pour illustrer cela, j’ai choisi d’en examiner deux de plus près. L’une relève de la communauté étudiée, et l’autre de l’observateur-participant. Je tire la première du missel que j’ai utilisé sur le terrain, et qui est largement répandue parmi les fidèles [3] :

  • Antienne
  • Introït. Kyrie. Gloria
  • Oraisons
  • Épître. Graduel. Prose
  • Évangile
  • Offertoire
  • Préface
  • Canon
  • Après la communion
  • Dernier Évangile

Cette structuration de la messe tridentine, quand bien même le nombre de parties qu’elle contient renverrait à un symbole biblique (citation 1), ne va pas de soi. On pourrait se demander pourquoi, d’abord, l’Introït, le Kyrie et le Gloria sont regroupés sous un seul point. Il s’agit en effet de trois unités nettement distinctes : la première est une partie mobile, souvent empruntée aux Psaumes et lue par le prêtre ; la seconde, une partie fixe [4], consiste en une interlocution de formules liturgiques entre le prêtre et les fidèles ; la troisième est une sorte d’hymne de louange récité par tous. Ni le genre littéraire, donc, ni l’organisation du rituel (qui prononce quoi) ne permettent de les rapprocher ; et pourtant elles sont présentées comme formant une certaine unité par mes informateurs.

L’Epître, le Graduel et l’Évangile constituent tous, au contraire, des parties mobiles empruntées à la Bible et lues exclusivement par le prêtre sur mon terrain [5]. Rien ne justifie donc qu’on les arrange en deux parties distinctes, si ce n’est pour indiquer la plus grande importance relative de l’Évangile, pendant la lecture duquel, d’ailleurs, les fidèles doivent se lever [6] (contrairement à celle de l’Épître pendant laquelle il leur est permis de s’asseoir). Et on pourrait donner beaucoup d’autres exemples (pourquoi la communion, assurément importante, ne fait-elle pas l’objet d’un point à part ? pourquoi ne mentionne-t-on pas les longues prières qui suivent le Dernier évangile ?).


Voici maintenant ma propre structuration de la messe tridentine :

  • I. a) L’entrée des officiants ; b) L’annonce des messes de la semaine
  • II. a) Introduction de la messe ; b) Psaume 43 ; c) Gloria Patri ; d ) Confiteor ; e) Indulgentiam ; f) Deus ; g) Aufer a nobis ; h) Oramus te
  • III. Introït
  • IV. Kyrie
  • V. Gloria
  • VI. Oraison
  • VII. Épître
  • VIII. Graduel
  • IX. a) Munda cor ; b) Sequentia
  • X. a) Offertoire ; b) Suscipe ; c) Deus ; d) Offerimus tibi ; e) In spiritu ; f) Lavabo ; g) Suscipe ; h) Orate, fratres
  • XI. Secrète
  • XII. a) Préface ; b) Sanctus
  • XIII. Te igitur
  • XIV. Memento des vivants
  • XV. Communicantes
  • XVI. a) Hanc igitur ; b) Élévation de l’hostie ; c) Simili modo ; d) Élévation du calice ; e) Unde et memores ; f) Supplices te
  • XVII. Memento des défunts
  • XVIII. a) Nobis quoque ; b) Per ipsum ; c) Pater Noster ; d) Libera nos
  • XIX. a) Pax Domini ; b) Agnus Dei ; c) Domine Jesu ; d) Non sum dignus ; e) Quid retribuam
  • XX. Communion : a) Communion du prêtre et Confiteor des fidèles ; b) Misereatur ; c) Indulgentiam ; d) Ecce Agnus Dei ; e) Communion des fidèles
  • XXI. Quod ore sumpsimus
  • XXII. Communion
  • XXIII. a) Postcommunion ; b) Ite, missa est ; c) Placeat tibi ; d) Benedicat vos
  • XXIV. Préface de Jean
  • XXV. a) Ave, Maria ; b) Salve, Regina ; c) Deus, refugium ; d) Sancte Michaël ; e) Cor Jesu
  • XXVI. La sortie des officiants

Cette deuxième structuration est tout aussi arbitraire que la première ; elle implique également des choix, et même des convictions. Que le rituel, par exemple, commence quand les officiants entrent dans la salle et non quand ils commencent à parler (c’est à partir de ce moment, en effet, que l’activité est strictement codifiée : ainsi tous les fidèles se lèvent, alors qu’ils s’occupaient jusqu’ici à leur gré). Ou que le Canon n’a pas besoin d’être nommé en tant que tel, mais qu’il vaut mieux représenter et nommer ses unités constitutives. Une option plus générale étant d’utiliser les premiers mots d’un texte plutôt que des gestes ou des déplacements dans l’espace pour définir les noms des parties (me rapprochant ainsi de la structuration des fidèles).

S’il est possible de proposer, pour un même rituel, des structures aussi dissemblables, c’est sans doute parce que ce rituel n’en contient en lui-même aucune. Tout ce que font les fidèles et l’observateur-participant, c’est ordonner les éléments (paroles, actes, déplacements) qui composent la messe tridentine selon des critères divers et déterminés à l’avance, d’où il résulte une structuration qui n’est conséquente ou "logique" qu’à l’intérieur d’un cadre arbitraire. D’autre part, ces arrangements signifient les options de leurs auteurs, dont les motifs sont d’abord traditionnels ou fonctionnels : une messe doit comporter dix parties, l’Évangile doit être traité à part, disent les fidèles ; le nombre de numéros ne compte pas, un bon plan doit être détaillé si l’on veut pouvoir citer précisément une partie, répond l’observateur-participant.

Mais il y a une autre raison, plus décisive, qui doit nous motiver à séparer nettement le rituel des discours sur les structures qu’il contiendrait. La suite de paroles et d’actes qui composent la messe tridentine, en effet, ne semble faire aucun sens, et les structurations du rituel peuvent être considérées comme de simples tentatives d’y mettre de l’ordre. Rappelons, d’abord, que la messe ordinaire comporte pas moins de onze parties dites « mobiles ». Celles-ci fonctionnent comme des bouche-trous : elles s’insèrent dans le rituel qu’on pourrait ici comparer à un texte à lacunes, en fonction du calendrier liturgique fixé à l’avance. Leur contenu n’a, en général et à moins d’un hasard, qu’un rapport ténu avec la messe du jour et, surtout, aucun avec le rituel (au sens de consacrer l’hostie et le calice) ; on dirait que leur rôle se limite à combler les vides prévus. Mais prenons un exemple. La messe qui va nous occuper longuement dans la troisième partie de cet article est sensée célébrer la fête de saint Chrysanthe et de sainte Darie, martyrs. Leurs noms apparaissent, certes, dans trois parties mobiles : l’Oraison, la Secrète et la Postcommunion, mais il s’agit de prières tout à fait générales, qui n’ont rien à voir directement avec ces deux personnages. Et, pour les parties mobiles plus importantes, comme l’Introït ou l’Évangile, par exemple, il est plus difficile encore d’établir un lien (le premier est emprunté à une messe commune à tous les saints, le second à l’Évangile de Luc, chapitre 11, versets 47-51 [7]. Sans compter que toutes ces parties mobiles ne constituent ni la suite ni le début des parties fixes qui les précèdent et les suivent directement.

Les parties fixes, d’ailleurs, ne se laissent pas plus facilement comprendre et organiser en structure : elles se répètent (Confiteor, Indulgentiam), se déclinent (Agnus Dei), se modifient en fonction du calendrier (eg. le Munda cor, dont le prêtre ne récite pas la deuxième partie aux messes des morts, quand bien même on ne comprend pas en quoi celle-ci pourrait les offenser), comme si leur sujet, leur contenu n’était pas "épuisé".

Les actions, enfin, présentent le même manque de "cohérence" entre elles que les paroles. On peut comprendre, encore, que le prêtre fasse le Lavabo avant le Canon pendant lequel il touchera l’hostie. Par contre, pourquoi faut-il se signer à la fin de l’Antienne ou génuflecter aux trois quarts du Dernier évangile ?

Si les paroles et les actes qui composent une messe tridentine ne se laissent pas facilement structurer en parties, il vaut peut-être mieux y renoncer, et ceci revient à établir notre troisième distinction. La messe tridentine, en effet, n’est pas un tout homogène ; les éléments qui la constituent demandent à être analysés à part et entre eux. Ceci revient à définir chaque formule prononcée, chaque action effectuée élément du rituel, et à déterminer maintenant en quoi ils consistent et comment ils se font suite les uns les autres.

Rituel et éléments du rituel

La meilleure manière d’aborder la suite de paroles et d’actes qui composent une messe tridentine consiste à rendre tout ce qui, au cours d’un office particulier :

  • se dit ;
  • se fait ;

et rien d’autre, ce qui est déjà beaucoup. Il faudra d’abord choisir un type de messe : sera-ce une messe lue, chantée ? Une messe pour les morts, les saints ? Tout en sachant qu’il sera impossible de transcrire en une fois tous les gestes, manipulations, déplacements, formules, prières et interlocutions qui la composent. Et qu’il faudra tenir compte des multiples variations que ne sont pas sensées présenter les parties dites « fixes » ou communes à toutes les messes.

Mais il n’est malheureusement pas possible, dans le cadre d’une tel article, de proposer au lecteur une analyse complète des différents éléments qui constituent une messe tridentine ; celui-ci devra se contenter de quelques gros plans que j’ai choisis parce qu’ils me semblaient particulièrement significatifs. Toutes ces séquences sur lesquelles nous nous arrêterons ont été empruntées à une messe de la férie, celle du 25 octobre dédiée à saint Chrysanthe et à sainte Darie, martyrs, et pour laquelle je fournis en annexe une onclick="window.open(this.href,'IMG/pdf/Messe_tridentine-2.pdf','height=700, width=700,top=100, left=100,toolbar=no, menubar=no, location=no, resizable=yes, scrollbars=yes, status=no'); return false;">transcription latine complète (pdf 416 ko). Il s’agit d’une messe basse de type « ordinaire », qui constitue en quelque sorte le modèle minimal du rituel tridentin, et sur lequel les messes plus complexes, comme les dominicales et les chantées, se fondent et se construisent.

Formules, prières et interlocutions

Il est raisonnable de définir unités certains éléments du rituel qui semblent contenir en eux-mêmes un début et une fin. C’est le cas de nombreuses formules, singulières (eg. « Ite, missa est » (XXIII.b) ou "Allez ! [elle] est envoyée" qui clôture la messe), souvent répétées (eg. « Oremus » ou « [Nous] prions » qui se place au début de certaines parties, et « Amen » qui en conclut d’autres), ou encore variées (eg. « Gloria tibi, Domine » puis « Laus tibi, Christe » (IX.b) ou « Gloire à toi, ô Seigneur ! » puis « Louange à toi, ô Christ ! » qui encadrent la lecture de l’évangile du jour) [8].

Les prières (eg. le Pater Noster (XVIII.c) ou « Notre Père », récité à la fin du Canon ; et l’Ave Maria (XXV.a) qui se dit après la lecture du dernier évangile), quant à elles, ainsi que toutes les parties mobiles (eg. l’Épître (VII), et même l’annonce faite en français (I.b) au début de la messe), forment des éléments pluriphrastiques du même genre : elles ne se réduisent pas à une seule proposition mais forment chacune un tout.

Le cas des interlocutions est peut-être le plus intéressant pour celui qui s’intéresse aux interactions sociales. Elles présentent la particularité de constituer des unités du rituel fractionnées par les participants. Le « Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. » ou « Le Seigneur soit avec vous. Et avec votre esprit » [9], qui est répété huit fois [10] au cours d’une messe ordinaire, est typique à cet égard (document sonore 1). Le prêtre avance la première proposition et les fidèles la deuxième. Le statut de cette interlocution est d’ailleurs difficile à définir, et son unité ne va pas de soi. Le « Dominus vobiscum. [11] » du prêtre constitue-t-il une invocation au « Seigneur » dont les fidèles bénéficient, une phrase à compléter par ces derniers, ou une interpellation au sens large ? Le « Et cum spiritu tuo. » des fidèles constitue-t-il donc le renvoi de l’invocation, la suite de la phrase, ou une sorte de réponse ? En conséquence, avons-nous affaire à un ou à deux éléments rituels ? On pourrait être tenté de résoudre ces questions en recourant aux interprétations indigènes ou traditionnelles, mais ceci appartiendrait au discours sur le rite et non plus à sa pratique. Il convient plutôt, à mon avis, de souligner que les interlocutions rituelles sont codifiées  ; et peu importe leur sens si nous savons qu’en raison de ce caractère :

  • le prêtre qui prononce « Dominus vobiscum. » attend une suite précise ;
  • que les fidèles apportent avec leur « Et cum spiritu tuo. ».

D’autre part, en renonçant à l’herméneutique pour déterminer si l’interlocution constitue un élément rituel ou non, rien ne nous empêche plus de l’analyser d’un point de vue strictement grammatical : la première phrase constitue une proposition tandis que la deuxième est son complément ; ces deux étant d’ailleurs reliés par le connecteur latin et.

Une suite d’interlocutions peut former des éléments rituels composés mais indivisibles ; dans ce cas, c’est souvent le dernier terme qui signifie leur conclusion (et donc leur unité) par l’emploi de variantes. L’interlocution Agnus Dei (XIX.b) qui se produit avant la Communion est un bon exemple. Par trois fois, le prêtre commence la phrase : « Agnus Dei, qui tollis peccata mundi,... » ou « Agneau de Dieu, qui enlève les fautes du monde,... » que les fidèles terminent la première et la deuxième fois par « ...miserere nobis » ou « ...aie pitié de nous » puis, la troisième et dernière, par : « ...dona nobis pacem. » ou « ...donne-nous la paix » (document sonore 2). Nous avons encore affaire à une seule phrase d’un point de vue grammatical (sujet, subordonnée, verbe et complément ; puis compléments direct et indirect dans la variante) dont prêtre et fidèles se partagent l’énonciation.

Rapports des éléments du rituel entre eux

Il ne suffit pas d’isoler dans la structure objective du rituel les éléments simples ou complexes qui la composent ; puisque nous avons défini la messe comme étant leur succession, encore faut-il montrer comment ils s’organisent et interagissent entre eux.

Pour le faire, je commencerai par relativiser le caractère unitaire des éléments rituels que j’ai défendu jusqu’à présent. D’un certain point de vue, en effet, les formules, prières et interlocutions analysées ci-dessus présentent une certaine unité. Nous avons vu, notamment, que le « Dominus vobiscum. » est inséparable du « Et cum spiritu tuo. » : en le prononçant, le prêtre attend la suite des fidèles, qui ne ferait grammaticalement aucun sens isolée. Les interlocutions composées, quant à elles, marquent un début et une fin par l’utilisation de la répétition et de la variante. Mais, d’un autre point de vue, ces éléments certes indivisibles en eux-mêmes sont liés les uns aux autres. De plus, leur unité n’est réelle qu’à l’intérieur du rituel. Ces deux remarques méritent d’être explicitées.

J’ai défini les parties mobiles comme des éléments pluriphrastiques mais unitaires du rituel. En effet, pour la simple raison qu’elles ne sont jamais les mêmes, on peut les considérer comme totalement indépendantes des éléments qui les précèdent et qui les suivent directement. Cependant, considérons l’Introït de la messe que nous avons prise comme exemple : un passage emprunté ce jour au Psaume 79. Plus précisément : des bribes de phrases découpées dans différents versets (11a, 12a, 10c et 1) de ce texte dont on n’a pas suivi l’ordre canonique. Ce qui forme dans le rituel un élément unitaire ne constitue donc qu’un assemblage composite à partir d’une autre unité, textuelle celle-ci, le psaume en question. Il ne s’agit pas, d’ailleurs, d’en inférer que les indigènes se moquent religieusement des règles les plus élémentaires de la citation ; mais de souligner que :

  • le sens des éléments rituels ne semble avoir guère d’importance ; et que
  • ces éléments ne possèdent un début et une fin, une unité, qu’à l’intérieur du rituel.

D’autre part, les éléments du rituel qui peuvent être dits unitaires parce qu’ils ont un début et une fin à l’intérieur de celui-ci ne sont pas indépendants les uns des autres. Ceci peut paraître contradictoire, car j’ai affirmé plus haut que c’était précisément un manque de cohérence et de rapport entre ces éléments que fidèles et observateur-participant résolvent par la structuration arbitraire. Mais, premièrement, l’incohérence se rapporte au contenu sémantique des éléments et, deuxièmement, la structure objective du rituel présente des rapports entre les éléments réglés au moyen d’autres éléments.

Le rapport le plus fréquent qu’on rencontre entre deux éléments lors d’une messe ordinaire est celui qui permet de marquer la fin du premier et le début du deuxième au moyen d’un troisième élément. Reprenons le cas du « Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. ». Nous l’avons défini comme un élément unitaire, de même que les parties mobiles. Prenons maintenant un moment rituel qui contient trois éléments unitaires, la séquence qui comprend dans l’ordre : la Communion (mobile) ; un « Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. » (fixe) ; la Postcommunion (mobile) (XXII.-XXIII.a). Quels rapports observe-t-on entre eux ?

1. Aucun a priori. Ni le sens de ces trois textes, ni leur provenance, ni leur genre ne permettent de les rapprocher ou de constater des interactions entre eux.

On remarquera, par contre :

2. que rien ne permet aux participants de déterminer si la phrase qui se termine par « ... et quasi holocausta accepit eos. [12] » constitue la fin de la Communion ; et

3. que rien ne leur permet également de déterminer que celle qui commence par « Mysticis, Domine... [13]]] » constitue le début de la Postcommunion [14].

Si ce n’est :

4. le « Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. » qui sanctionne la fin de la Communion et annonce le début de la Postcommunion.

La fin et le début des éléments unitaires que sont la Communion et la Postcommunion sont donc signalés par un troisième élément, le « Dominus vobiscum... » dont on explique ainsi la fonctionnalité à défaut de pouvoir comprendre sa signification ; il régule en quelque sorte la succession de l’élément qui le précède et de celui qui le suit.

Toutefois, deux éléments de cette séquence n’ont pas encore été pris en compte dans notre analyse. Le début de la Postcommunion, en effet, est précédé avant le « Dominus vobiscum... » d’un « Oremus » prononcé par le prêtre (document sonore 3) ; celui-ci est un élément fixe et unitaire, qu’on retrouve plusieurs fois dans le rituel, en général pour amorcer une lecture ou une récitation (par exemple au début de l’Épître (VII), de l’Offertoire (X.a) et du Notre Père (XVIII.c). Sémantiquement, cet « Oremus » ne semble pas toujours venir à propos : il signifie théoriquement « [nous] prions » mais il introduit dans le rituel, en plus des prières et des supplications, des lectures de passages scripturaires qui ne sont pas des oraisons (c’est notamment le cas de l’Épître (VII). Par contre, structuralement parlant, l’ « Oremus » remplit la même fonction que le « Dominus vobiscum... » : il signale une fin et un début. Dans le cas qui nous concerne, d’ailleurs, il peut être envisagé de deux manières qui ne se contredisent pas : soit il marque la fin du « Dominus vobiscum... » et le début de la Postcommunion, soit il s’allie au premier pour mieux séparer la deuxième de la Communion qui les précède tous.

Le « Dominus vobiscum... » et l’ « Oremus » ne sont pas les seuls éléments qui servent à séparer d’autres éléments et à les coordonner entre eux ; l’ « Amen », le « Gloria tibi, Domine », ou le « Dignum et justum est » jouent le même rôle en d’autres endroits du rituel. Mais il nous faut maintenant ajouter le dernier élément de la séquence choisie que nous n’avons pas encore analysé : la série d’actes qui accompagne les paroles. Ainsi, pour lire la Communion le prêtre s’est déplacé sur la droite de l’autel (illustration 4) où le servant a placé le missel ; il est allé ensuite au milieu de l’autel où il s’est incliné, s’est tourné face aux fidèles et a prononcé en ouvrant les mains le « Dominus vobiscum... » ; enfin il est retourné sur la gauche de l’autel pour réciter la Postcommunion. Ces déplacements et ces gestes, une fois de plus, ne se laissent pas justifier a priori : pourquoi l’officiant principal interrompt-il par un déplacement les deux lectures qu’il doit faire à un même endroit ? Et une fois de plus nous pourrions demander aux indigènes de l’interpréter, d’en parler. Ou alors nous considérons que cette série est le pendant en actes du « Dominus vobiscum... » et de l’ « Oremus » ; qu’elle signale et coordonne, comme eux, deux éléments unitaires du rituel. Ce qui me semble être la seule manière objective de les comprendre et de les expliquer.

Il nous reste à dire sans pouvoir le développer que les parties fixes ou mobiles qui s’ajoutent aux éléments rituels unitaires de la messe ordinaire pour composer des messes plus complexes, comme celles du dimanche ou les chantées, suivent, ce faisant, les mêmes règles de séparation et de coordination que nous avons mises à jour.

Prononciation, accentuation et rythme

La prononciation, l’accentuation et le rythme selon lesquels officiants et fidèles disent les parties fixes ou mobiles ne constituent pas à proprement parler des éléments du rituel, mais des modes de réalisation de ces éléments ; ils nous intéressent parce qu’ils ont trait non au contenu de la messe mais à sa forme. En effet, nous verrons que la manière codifiée de dire quelque chose est plus importante que ce qui est dit ; c’est la prononciation qui garantit, par exemple, l’efficacité d’une formule. De ce point de vue, nous nous rapprochons plus du chant ou de la poésie que du texte à propositions univoques.

Sur ce terrain, j’ai perdu ma prononciation académique du latin. Depuis les années soixante-dix, en effet, on apprend dans les gymnases et les universités francophones à lire :

[Le prêtre, au cours de l’Antienne (II.c)] « Adjutorium nostrum in nomine Domini [15] ».
[Sur quoi les fidèles répondent] « Qui fecit caelum et terram [16] ».

Ainsi :

« Adioutorioum nostroum in nomine Domini.
Qui fekit kailum et terram. »

Alors que le prêtre et les fidèles prononcent :

« Adjoutorioum nostroum in nomine Domini.
Qui fetchit tchélum et terram. » (document sonore 4)

Si bien qu’un jour après la « Grand’Messe », un fidèle qui était assis à côté de moi démasque l’imposteur dans le narthex :

« L’abbé m’avait dit que vous aviez fait votre latin... mais vous ne savez même pas prononcer ! »

Pour défendre ma prononciation académique du latin, je choisis l’exemple de la lettre c, dont la valeur de k guttural est bien attestée dans la littérature antique [17] ; mais mon interlocuteur ne fut guère convaincu :

« Certes. Mais vous nous entendez prononcer votre kai-kailum ? [et en riant :] Nous ne sommes pas des chiens ! » ( onclick="window.open(this.href,'IMG/pdf/Tableau_de_prononciation.pdf','height=700, width=700,top=100, left=100,toolbar=no, menubar=no, location=no, resizable=yes, scrollbars=yes, status=no'); return false;">tableau de prononciation - pdf 41 ko).

Je tâchai donc de mâter le démon canin et me mis à prononcer tché mes kai-kai ridicules. Un autre jour, en entretien, j’obtins une explication similaire d’un prêtre que je questionnais au même sujet :

« La prononciation qu’on vous a apprise n’est pas seulement tendancieuse, elle ne sonne pas bien. Essayez donc de l’employer pour chanter le Gloria [une partie fixe qui est lue aux messes ordinaires et chantée le dimanche] ! vous en reviendrez vite... »

Sur quoi il n’a pas tort. Chanter par exemple excelsis "etchélsis" ou "ekstchélsis" au lieu de "ekskelsis" semble tout de suite moins "dur" et plus "mélodieux". Ou, pour s’en tenir à des notions de phonétique, le k est plus difficile à prononcer quand il est précédé immédiatement d’un groupe de consonnes articulées comme lui au niveau de la gorge (x notant "ks", ou "gz") ; la palatale "tch" permettant au contraire un souffle continu articulé en deux temps ("ks" à la gorge, puis "tch" au palais). C’est d’ailleurs la prononciation qu’utilisent les interprètes des grands requiem.

La grande majorité des missels donnent l’accentuation des mots de trois syllabes et plus en suivant les règles classiques (ainsi sur l’antépénultième quand la pénultième est brève, comme dans les nombreux dominus). Les fidèles disent qu’ils tâchent de les respecter, mais cela ne s’entend guère. Contrairement à la prononciation qui est bien fixée, l’accentuation est libre et la plupart des formules parlées le sont sur un ton monocorde.

Idem
pour la quantité (qui n’est pas signalée dans les missels) : on ne rend pas l’alternance des longues et des brèves, ou alors inconsciemment. Pourtant, les parties fixes et mobiles possèdent un rythme certain et très particulier qui se fonde sur une ponctuation différente que celle du texte écrit. Voici par exemple comment les fidèles récitent (deux fois au cours d’une messe ordinaire) le Confiteor (II.d) :

« Confiteordeoomnipotentibeataemariaesempervirgini, beato Michaeli Archangelo, beato Joanni Baptistae, sanctisapostolispetroetpaulo, omnibussanctisettibipater, quia peccavi nimiscogitatione verboetopere. Mea culpa ; mea culpa ; mea maxima culpa. Ideoprecorbeatammariamsempervirginem, beatum Michaelem Archangelum,... [18] ». (document sonore 5).

Ce qui a pour conséquence de rendre plus difficile à l’oral la compréhension du sens de ce passage, pour se concentrer plutôt sur la manière de le débiter, c’est-à-dire sur sa forme. Et si influence il y a, c’est à nouveau du côté du chant qu’on la trouvera. Je ne sais pas lire les partitions grégoriennes, mais j’ai appris à les chanter à l’oreille ; pour peu qu’on se prête à cet exercice, on se rendra compte que la plupart des parties fixes parlées tiennent leur scansion du rythme de la mélodie selon laquelle on les chante aux messes extraordinaires.

L’analyse de la prononciation, de l’accentuation et du rythme selon lesquels prêtres et fidèles disent une messe souligne la prépondérance de la forme du rituel sur son sens, parce que :

  • la manière de prononcer une formule semble plus importante que ce qu’elle veut dire ;
  • la manière d’accentuer (tendance au susurrement) et de ponctuer (pas comme à l’écrit) les récitations rend difficile leur compréhension.

Agenouillements et génuflexions

Les paroles ne sont pas les seules à constituer le rituel ; toutes les actions : gestes, manipulations, attitudes, déplacements en sont des éléments à part entière. Il ne faudrait d’ailleurs pas les opposer catégoriquement : chaque parole réclame une action particulière, et vice-versa  ; généralement, on ne pourra comprendre l’une et l’autre qu’en observant ces relations.

Les actions, encore, présentent les mêmes problèmes que nous avons soulevés pour les paroles :

  • on a beaucoup de peine à les lier au contenu sémantique du rituel ;
  • on n’arrive pas à expliquer leur succession ; et
  • elles se répètent sans s’épuiser jusqu’à la fin du rituel.

Pour illustrer ce deuxième type d’élément du rituel et discuter les problèmes qu’il pose, j’ai choisi comme premier exemple le comportement codifié des fidèles qui consiste à stationner sur ses propres genoux pendant une bonne moitié de la messe. Faisons d’abord un détour par la théorie :

1. [une jeune fidèle] :

« Vous n’imaginez tout de même pas qu’on se lève pendant la consécration (illustration 5) ? »

2. [un prêtre] :

« C’est un acte de respect et de soumission, voire de mortification. »

3. [une fidèle âgée] :

« Moi, je fais de la polyarthrite. À chacun sa croix... »

Si l’on veut renoncer, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, à l’approche herméneutique du rituel, c’est peut-être la dernière réponse seule qu’il faudra retenir. L’agenouillement ne peut pas être tenu pour évident ; c’est une position inconfortable qui, de plus, ne se justifie pas toujours. Qu’il faille l’adopter pendant la lecture de l’Évangile et tout au long de la consécration, soit. Mais pourquoi à l’Antienne (dès II) et pas au Gloria (dès V), qui sont deux sortes de prières ? La deuxième réclame-t-elle moins de “respect” que la première ? Mon informateur principal pourrait certainement répondre à ces questions en me renvoyant à « Nos Saint Pères et Docteurs de l’Église catholique et apostolique ». Mais déclarer ces explications arbitraires ne nous servirait à rien. Nous devrions plutôt rendre les agenouillements dans leurs rapports de succession, comme nous l’avons fait pour les paroles. Nous découvririons alors sans doute que ceux-ci servent, au même titre que le « Dominus vobiscum... » et l’ « Oremus », à marquer des débuts et des fins d’éléments, à ponctuer le rituel. Mais je souhaite réserver cette approche pour les génuflexions, et envisager les agenouillements selon un autre point de vue que j’ai négligé quelque peu pour l’analyse des paroles.

Les agenouillements, de fait, sont l’affaire de l’assemblée, des participants au rituel plutôt que des officiants qui ne les réalisent que rarement. Pour cette raison, et parce qu’ils sont codifiés d’une manière plus lâche que les paroles, ils donnent lieu à des interactions complexes et, ce faisant, nous rappellent que le rituel est d’abord une activité sociale.

La codification des agenouillements peut être dite plus lâche parce que, contrairement à celle des paroles :

  • elle contient des parties non codifiées que
  • les participants organisent librement puis collectivement ; ce qui
  • dérange et modifie les parties codifiées strictement.

Ainsi :

  • la lecture de l’Épître ne codifie pas la position corporelle des fidèles ; donc
  • ceux-ci s’asseyent ou s’agenouillent, mais, si la majorité d’entre eux adopte la deuxième position, la minorité l’imitera, et vice-versa ; si bien que j’ai vu plusieurs fois
  • des fidèles isolés s’asseoir pendant la lecture de l’Évangile qui réclame strictement la position debout ; ce qui revient sans doute à prendre du repos pour la partie suivante, l’Offertoire, qui réclame à nouveau la position à genoux.

Plus généralement, l’agenouillement est déterminé par le type de messe, c’est-à-dire par ses participants. Les messes basses de semaine, comme celle qui est transcrite en annexe, réunissent essentiellement les fidèles dans le sens littéral du terme, ceux qui ne manquent pas une messe et qui réprimandent le prêtre s’il a mâché une formule ou mal ajusté son aube. À l’intérieur de ce "noyau dur", les plus zélés donnent le ton. Quand l’un d’eux s’agenouille, en jetant parfois un regard significatif sur l’assemblée, tous l’imitent, quand bien même rien ne les y obligerait. Si ce n’est la pression exercée par le groupe. On m’a fait comprendre plusieurs fois qu’il fallait que j’adopte la « position respectueuse », alors que je suivais les règles du missel qui m’autorisaient à rester debout. Un jour, un prêtre m’a dit qu’il méprisait le « comportement superstitieux de ces fidèles sans cesse à genoux et dont le but revient certainement à concurrencer l’autorité des célébrants ».

Le dimanche, à la « Grand’Messe », l’ambiance est plus festive et détendue. C’est peut-être dû à la présence des enfants (et des époux) convaincus par leurs mères (leurs épouses) de participer au sacrifice hebdomadaire. Toujours est-il que la dynamique de groupe, si elle fonctionne de la même manière, produit des résultats tout à fait différents. Des fervents de la semaine, parce que les fidèles du dimanche restent assis pendant l’Épître, se le permettent à leur tour. Inversement, il n’est pas rare de voir les moins motivés se retourner pendant la liturgie pour déterminer leur station : si la majorité est à genoux, ils obtempéreront avec un soupir. Et, pour manifester contre ce relâchement général, il est des passionnés qui se font un devoir de rester à genoux pendant toute la messe.

Le deuxième exemple d’acte comme élément du rituel que j’ai choisi est la génuflexion. L’analyse que je propose de celle-ci est tout à fait similaire à celle que j’ai faite pour les éléments unitaires du type paroles. Il convient d’opérer avant tout deux distinctions en ce qui concerne les génuflexions :

  • celles des officiants et celles des fidèles ;
  • celles que l’on fait pendant la messe et celles que l’on fait avant et après.

La première distinction est nécessaire parce que les officiants génuflectent beaucoup plus que les fidèles et selon d’autres codes ; la deuxième parce que la pratique de la génuflexion n’est pas la même pendant et en dehors du rituel.

Dans la communauté étudiée, l’unique règle de génuflexion qui s’applique indistinctement à tous est : « on génuflecte quand on coupe l’allée centrale, parce que nous trouvons au bout de celle-ci l’autel, donc le tabernacle, donc le corps du Christ [le tabernacle contient toujours un certain nombre d’hosties consacrées] » (illustration 8). En conséquence, comme les officiants coupent souvent l’allée centrale (c’est-à-dire le milieu du tabernacle, puisqu’on ne peut pas parler d’allée à l’intérieur du choeur) pour effectuer le rituel, ils génuflectent plus que les fidèles. Lors d’une messe ordinaire, par exemple, le servant de messe doit génuflecter chaque fois qu’il transporte le missel de la droite à la gauche de l’autel et vice-versa, ou quand il va chercher un objet dans la crédence depuis la gauche (eg. après la lecture du Graduel (VIII), et pendant que le prêtre communie (XX.a). Quant au prêtre, il génuflecte souvent au milieu de l’autel alors qu’il ne traverse pas la ligne médiane ; ces génuflexions correspondent, comme on pouvait s’y attendre, à marquer la fin ou le début d’une unité rituelle, ou à signaler aux fidèles une opération importante ; les inclinations remplissent d’ailleurs la même fonction (eg. au début de l’Offertoire (X.a), du Lavabo (X.f), du Te igitur (XIII.a), de l’Agnus Dei (XIX.b), etc. (XVI.b).

Avant et après la messe, on observe une multiplication des génuflexions qui se base sans doute sur la précaution du "mieux vaut deux fois qu’une". Beaucoup de fidèles, même s’ils ne coupent pas l’allée centrale, ponctuent la plupart de leurs déplacements par des génuflexions. J’ai observé plusieurs fois des fidèles assis sur la gauche se rendre devant la statuette qui représente Marie, placée sur le même côté, pour y allumer une bougie. Quelques-uns ont génuflecté : dans l’allée latérale, juste après s’être levés ; devant la statuette, avant et après avoir allumé leur bougie ; au retour, avant de se rasseoir (tous génuflectent deux fois devant la statuette). Dans certains cas extrêmes (deux sur ce terrain), la pratique de la génuflexion (sans parler du signe de la croix) peut être comparée sans exagérer aux troubles obsessionnels compulsifs : une fidèle qui fut également une des mes informatrices génuflecte depuis son banc avant de s’autoriser à tourner une page de son missel. Toutefois, dans la grande majorité des cas, on se modère en appliquant des principes simples. Un fidèle qui n’est pas sûr, par exemple, d’avoir coupé ou non l’allée centrale [19], génuflectera au cas où. Comme le dit une jeune femme que je questionne à ce sujet :

« Vous savez, je préfère m’agenouiller [sic] une fois de trop plutôt que manquer un agenouillement [sic]... »

Parties récitées mentalement

Les parties fixes ou mobiles récitées mentalement présentent la particularité de ne constituer ni des paroles ni des actes, ce qui pose problème si l’on définit la messe comme l’enchaînement de ces deux types d’éléments. D’autant plus qu’elles sont nombreuses dans une messe ordinaire. Autrement dit : font-elles partie du rituel ? Pour moi, elles permettent d’abord de confirmer ce que j’ai dit jusqu’à présent en ce qui concerne les rapports d’enchaînement des unités rituelles (en paroles ou en actions). Nous avons vu que ces rapports reviennent essentiellement à marquer des fins et des débuts. Or, les parties récitées mentalement ne se laissent pas distinguer entre elles, elles ne sont pas coordonnées. Quiconque voudra transcrire une messe s’en rendra compte. Dans le long Canon par exemple, comment savoir à quel moment le prêtre récite telle ou telle prière mentale ? Parfois, des gestes visibles du célébrant ou la clochette du servant le permettent théoriquement (ainsi au début des prières Hanc igitur (XVI.a) et Supplices te (XVI.f). Mais la plupart du temps, rien ne l’indique (par exemple pour le Memento des vivants (XIV) et pour le Communicantes (XV), ou des gestes que l’assemblée ne peut pas distinguer (ainsi le Unde et memores (XVI.e, XVI.f), pendant lequel le prêtre signe le calice et l’hostie, et encore pour le Nobis quoque (XVIII.a). Si bien qu’il n’est pas possible de reconstituer le Canon sans l’aide théorique d’un informateur, ce qui signifie que nous sommes dans le normatif et plus dans le rituel en tant que suite de paroles et d’actes.

Ce problème peut être dit réel parce qu’il se pose également aux participants. Ceux-ci se plaignent de ce manque de clarté, qui affecte et l’efficacité du rituel et la confiance qu’ils portent au célébrant. Leur souci est d’abord d’ordre pratique, comme en témoigne cette fidèle dans le narthex :

« Pendant le Canon, nous devrions nous joindre en esprit au prêtre et réciter en même temps que lui les prières [mentales]. Mais nous ne savons jamais où il en est... Alors, je les récite d’une traite pour être sûre qu’elles aient été dites, et j’attends la fin [c’est-à-dire la prochaine parole à voix haute ou la prochaine interaction qui lui permettra de se situer dans le rituel]. »

Les conséquences sont graves ; elle continue :

« Rappelez-vous bien qu’il [le prêtre responsable de la communauté, qui a officié ce jour] ne dit même pas la consécration [de l’hostie et du calice, en XVI.a]. Et la Présence réelle ? Des fois, je me demande ce qu’il fait... »

Une fidèle qui nous écoutait depuis un moment se joint à nous. Elle confie :

« Entre nous, je préfère l’abbé Y que l’abbé X [le deuxième est celui dont vient de parler la première fidèle et qui officie la plupart du temps] : il dit tout. »

[J.-L. J. :] « C’est pourtant le principe des messes basses que certaines parties soient récitées mentalement ou à voix basse. »

« Certes. Mais l’abbé X ne les [prières qu’il récite mentalement] dit pas non plus le dimanche [propos confirmé par l’observation]. Et c’est le principe de toutes les messes de prendre le Sacrifice au sérieux. »

Comment faire correspondre ses prières avec celles du prêtre, donc, et surtout, à quoi pense-t-il pendant ces longs silences ? Pour moi, j’ai souvent composé lors de ceux-ci ma liste de courses ou révisé mes tatpurusha sanskrits. Alors ?

Il faut préciser, toutefois, que ces deux fidèles sont d’entre les plus téméraires. Et le problème des parties récitées mentalement ne se manifeste que rarement par des discours. Ses conséquences sont perceptibles aussi pendant le rituel, à la prochaine interaction par exemple : les participants qui connaissent le moins bien le déroulement (comme l’observateur-participant au début de son travail) manquent alors la première partie d’une formule parce qu’ils ne savent plus où l’on en est (ou prononcent avec un retard l’unique mot qui la compose, comme l’Amen qui marque la fin du Per Ipsum (XVIII.b), juste avant la récitation du Notre Père).

À strictement parler donc, les parties récitées mentalement par le prêtre n’appartiennent pas au rituel ; comme nous venons de le voir :

  • l’observateur ne peut pas en rendre compte sans l’aide de celui qui est sensé les réciter ;
  • les fidèles n’arrivent pas à délimiter ces parties et remettent en cause leur effectuation même.

D’autre part, l’affirmation selon laquelle ces parties ne font pas partie de la messe n’est pas valable relativement à la seule définition que nous avons donnée de celle-ci. D’un autre point de vue, en effet, nous n’avons plus affaire pendant ces silences à des interactions sociales. Chacun est sensé réciter ses prières, mais qui sait qui pense quoi ? Les participants sont-ils « unis en prière » ou bénéficient-ils d’un espace libre à occuper selon leurs désirs ?

Conclusion

Le fait d’avoir privilégié dans notre approche de la messe tridentine sa dimension pratique et formelle nous a permis de mettre à jour quelques-uns des ses mécanismes. Le principal rapport que les éléments qui composent une messe tridentine entretiennent entre eux consiste à se marquer des débuts et des fins, c’est-à-dire à se distinguer et à se lier dans le cadre d’une messe particulière (le « Dominus vobiscum... » qui sépare la Communion de la Postcommunion ; les agenouillements du prêtre au milieu de l’autel entre deux lectures). Chemin faisant, la prise en compte de la prononciation et de l’accentuation nous a appris que la forme des parties parlées compte plus que leur contenu. Quant à celle des agenouillements, elle nous rappelle que le rituel est d’abord le lieu d’interactions sociales compliquées. D’où l’on a pu dire aussi avec les fidèles que les récitations faites mentalement et pour soi ne font pas partie du rituel au sens strict.

L’approche du rituel tel que nous l’avons défini et considéré ne nous permet pas d’expliquer la messe tridentine ou de lier le sens des éléments disparates qui la composent ; elle nous permet toutefois de comprendre comment fonctionne cet imposant patchwork.

add_to_photos Notes

[1J’utilise dans cet article deux types de guillemets : les français (« ... ») signalent des citations de membres de la communauté étudiée ou des termes et des expressions qu’ils emploient ; les anglais ("...") notent l’approximation ou une certaine distance que je prends par rapport à certaines notions.

[2Tout au long de cet article, j’utilise la majuscule à l’initiale pour distinguer les noms des parties (en latin ou en français) qui composent une messe ; les noms en latin ne sont d’ailleurs pas mis en italiques dans ce cas.

[3Missel vespéral très complet (2003 : 90-112).

[4Une messe tridentine se compose, en effet, de parties dites « fixes » et de parties dites « mobiles ». Les premières sont communes à tous les types d’office (par exemple le Psaume 43, la Préface, le Confiteor, le Pater Noster, l’Évangile de Jean 1, 1-14, etc.) ; tandis que les deuxièmes varient à chaque office selon le calendrier liturgique (par exemple l’Introït, l’Épître et l’Évangile du jour, la Secrète, la Communion, etc.). Cette caractéristique suffit pour rappeler que la messe tridentine constitue d’abord une construction.

[5Ceci, en effet, n’est de loin pas le cas de toutes les communautés chrétiennes.

[6« On se lève pour entendre l’Évangile, qui contient la prédication même de Jésus-Christ », Missel vespéral très complet (2003 : 94).

[7Le Missel quotidien des fidèles relève le défi de motiver ce choix ainsi : « Jusqu’à l’époque de saint Grégoire, on pouvait voir à découvert, dans la crypte des Saints-Chrysanthe-et-Darie, des ossements de martyrs qui n’étaient pas renfermés dans un tombeau. Ce qui expliquerait le choix de cet Évangile [Luc 11, 47-51, dans lequel Jésus maudit les scribes et les Pharisiens qui construisent des tombeaux pour les prophètes] » ! (1958 : 1390).

[8Par principe, je traduis aussi littéralement que possible, d’autant plus que les versions des missels s’éloignent considérablement du texte latin ; ces dernières sont toujours signalées en tant que telles.

[9J’adopte ici la traduction que donnent la plupart des missels.

[10Plus précisément huit fois pour le « Et cum spiritu tuo. » et sept fois pour le « Dominus vobiscum. », l’interlocution suivant le Notre Père étant : « Pax Domini sit semper vobiscum. Et cum spiritu tuo. » (XIX.a) ou « Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous. Et avec votre esprit ».

[11Chaque fois que les deux parties constitutives de l’interlocution « Dominus vobiscum. Et cum spiritu tuo. » sont citées séparément, on leur a ajouté un point final. Par cette convention typographique inhabituelle, il s’agit de souligner que ces deux propositions sont prononcées par deux types de participants à la messe tridentine, à savoir l’officiant et les fidèles, et qu’il est nécessaire de les distinguer. D’autre part, quand le « Dominus vobiscum. » est suivi de trois points de suspension, il renvoie à l’interlocution complète.

[12La Communion complète est : « Et si coram hominibus tormenta passi sunt, Deus tentavit eos : tamquam aurum in fornace probavit eos, et quasi holocausta accepit eos. ». Cf. Le Livre de la Sagesse 3, 4-6 : « Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité. Après de légères corrections, ils recevront de grands bienfaits. Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui ; comme l’or au creuset, il les a épurés, comme l’offrande d’un holocauste, il les a accueillis. ». La Bible de Jérusalem (1999).

[13La Postcommunion complète est : « Mysticis, Domine, repleti sumus votis et gaudiis : praesta, quaesumus ; ut, intercessionibus sanctorum Martyrum tuorum Chrysanthi et Dariae, quae temporaliter agimus, spiritualiter consequamur. Per Dominum. », que les missels traduisent : « Comblés dans nos vœux et nos joies mystiques, nous vous prions, Seigneur, par l’intercession de vos saints Martyrs Chrysanthe et Darie, de nous accorder spirituellement ce que nous accomplissons matériellement. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ. ». (1958).

[14Si rien ne permet aux participants de déterminer la fin de la Communion et le début de la Postcommunion, c’est parce qu’il s’agit précisément de parties mobiles, c’est-à-dire de parties qui diffèrent à chaque messe en fonction du calendrier liturgique.

[15« Notre secours est dans le nom du Seigneur. »

[16« Qui a fait le ciel et la terre. »

[17a) Le rhéteur Quintilien affirmait que la lettre k est inutile dans l’alphabet latin parce que la lettre c remplace cette valeur. b) Les mots latins consul et centurio se translittéraient en grec au moyen du kappa, et non du sigma. c) La prononciation « krokiré » du verbe onomatopéique crocire rend mieux le croassement des corbeaux et des corneilles qu’il est sensé imiter que ne le ferait « srosiré » (comme pour le kâka sanskrit d’ailleurs). d) Dans le vers ingénieux de Virgile « silici scintillam excudit Achates » (l’Énéïde) le jeu d’assonances et d’allitérations n’évoque l’allumage du feu qu’à condition de prononcer le c dur qui fait le craquement des brindilles. e) Malgré l’évolution de la prononciation en français (eg. cellier et cellule dont les c sont sifflés), d’autres langues ont conservé pour des mots apparentés la valeur antique (le Keller allemand).

[18Passage qu’on lit dans les missels : « Confiteor Deo omnipotenti, beatae mariae semper virgini, beato Michaeli Archangelo, beato Joanni Baptistae, sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus Sanctis, et tibi, pater : quia peccavi nimis cogitatione, verbo et opere : mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. Ideo precor beatam Mariam semper Virginem, beatum Michaelem Archangelum, ... ».

[19Ce cas se présente souvent à l’entrée de la nef.

library_books Bibliographie

ALAND Kurt et Barbara, 1984 (1906). Novum Testamentum Latine, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft.

HUBERT Henri et Marcel MAUSS, 1909 (1899). « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », Mélanges d’histoire des religions, Paris, Félix Alcan.

HUMPHREY Caroline et James LAIDLAW, 1994. The Archetypal Actions of Ritual. A Theory of Ritual Illustrated by the Jain Rite of Worship, Oxford, Oxford University Press.

PROPP Vladimir, 1965 (1928). Morphologie du conte, Paris, Éditions du Seuil.

STAAL Frits, 1989. Rules Without Meaning. Ritual, Mantras and the Human Sciences, New York, Peter Lang Publishing.

STAAL Frits, 1990. Jouer avec le feu. Pratique et théorie du rituel védique, Paris, Collège de France, Institut de Civilisation Indienne.

Les missels cités

Missel quotidien des fidèles, 1958. Tours, Maison Mame Éditeurs pontificaux.

Missel vespéral très complet, 2003 (1933). Argentré-du-Plessis, Éditions D.F.T.

Les éditions de la Bible citées

La Bible de Jérusalem, 1999 (1998). Paris, Desclée de Brouwer.

La Bible. Traduction œcuménique, Édition intégrale, 1988. Paris, Éditions du Cerf et Société Biblique Française.

Pour citer cet article :

Jean-Luc Jucker, 2007. « Des marqueurs rituels. Ethnographie d’une messe tridentine ». ethnographiques.org, Numéro 13 - juin 2007 [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2007/Jucker - consulté le 29.03.2024)
Revue en lutte