Le care sous contrainte.
La prise en charge de la dépendance par des travailleuses migrantes dans une maison de retraite taïwanaise

Résumé

À partir d’une enquête qualitative menée dans une maison de retraite à Taïwan, cet article analyse la condition des travailleuses migrantes du care. Trois échelles d’analyse sont mises en œuvre. D’abord une échelle institutionnelle qui, constituée par la politique d’ethnicisation de la prise en charge de la dépendance à Taïwan, prive de liberté les travailleuses migrantes et permet aux structures qui les emploient d’en faire des recluses. Ensuite une échelle organisationnelle qui, définissant les conditions d’emploi des travailleuses migrantes, dicte la manière dont le travail de care est effectué. Ces conditions de travail et d’emploi sont tributaires de structures de pouvoir dominées par l’État taïwanais, les agences de placement et les institutions de soin. Enfin une échelle biographique qui, par le biais de l’étude du cas d’une travailleuse migrante, révèle que le manque généralisé de « capacité à se soucier de soi » chez les travailleuses migrantes réduit leur capacité d’agir dans leur activité de souci des autres.

Abstract

“Care under constraint. Migrant worker care for the dependent elderly in a Taiwanese nursing home.”
Based on a qualitative survey carried out in a Taiwanese nursing home, the article analyzes the conditions of migrant care-workers. Three scales of analysis are mobilized. On the institutional level, the racialization of the long-term care system in Taiwan deprives migrant care-workers of their freedom, the nursing home becoming a total institution with the workers as its inmates. Second, at the organizational level, care work and the employment of migrant care-workers are embedded within structures of power dominated by the Taiwanese government, recruitment agencies and the total institution. Finally, biographical analysis of a migrant care-worker’s life trajectory suggests that the collective lack of capability to care for oneself on the part of migrant care-workers limits their capability to provide care for others.

Sommaire

Introduction

Le travail de care occupe une place de plus en plus importante dans les sociétés confrontées au vieillissement de leur population. Avec l’augmentation du niveau de dépendance dû à l’allongement de l’espérance de vie, la prise en charge en institution est souvent envisagée en dernier recours. L’histoire du développement des institutions de soin montre que la maison de retraite est entrée dans la catégorie d’institution totale (total institution) que définit Goffman, comme « lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (Goffman 1968 : 41). Le rapport entre le « soignant » et le « soigné » s’apparentait, dans ces institutions, à l’opposition entre homme libre et prisonnier (Castel 1968 ). À partir des années 1970, certains pays ont connu des réformes qui, en individualisant et en personnalisant la prise en charge des résidents, avaient pour objectif l’« humanisation » des établissements (Cabirol 1983 ; Mallon 2001, 2004). Les discours sur l’amélioration de la qualité des soins soulignaient alors la professionnalisation et la qualification du personnel soignant. Cependant, tous les pays n’ont pas connu une évolution systématique dans le sens de l’humanisation des « hospices ». À Taïwan, même si certaines réformes ont eu lieu, elles n’ont pas forcément abouti à la disparition des institutions totales et du système taylorien du travail de care qui y règne (Casman 2001). La mauvaise qualité des conditions de travail du personnel soignant et le manque d’effectif sont toujours d’actualité dans les institutions du care.

Le care [1], comme disposition et pratique, implique un travail physique et émotionnel de la personne qui prodigue les soins (Tronto 1993 ; Paperman et Laugier 2005 ; Hochschild 2012 ; Avril 2014 ). Les mouvements migratoires des femmes ont favorisé la division internationale du travail de care en termes de genre, de classe et de race. Cette « mondialisation du care » a, en conjonction avec l’organisation néolibérale du travail, creusé les inégalités entre le « Nord » et le « Sud », entre le soigné et le soignant (Ehrenreich et Hochschild 2003 ; Falquet et al. 2010). Les bénéficiaires du care profitent ainsi de leur « irresponsabilité privilégiée » (Tronto 1993) au contraire du personnel de soin subalterne qui, hautement féminisé et racialisé, incarne la « domesticité » (Drouilleau et al. 2009). Dans le cadre de la prise en charge en collectivité, le care doit être « produit » par une « main-d’œuvre » efficace. La flexibilisation du travail de care, au niveau des conditions d’emploi et de l’organisation, ainsi que la précarisation des travailleuses [2] (Paugam 2000 ; Castel 1995) deviennent donc des leviers préférentiels pour les institutions. De nombreuses études ont montré que la qualité des soins et les conditions de travail des soignants sont indissociables (Bardot 2009 ; Causse 2006 ; Colombo et al. 2011), mais rares sont les recherches qui étudient comment s’articulent concrètement le care comme soin prodigué avec le care comme rapport de travail.

Paradoxalement, alors que « vieillir en institution » relève de moins en moins de la logique asilaire, l’institution totale tend à appliquer cette logique à celles qui prodiguent le care. Notre cas d’étude déplace la problématique classique goffmanienne dans un contexte où le « reclu » (inmate) est plus le soignant que le soigné. Par conséquent, l’analyse conduite dans ce texte se penche sur la capacité d’agir des travailleuses migrantes prises dans un système contraignant d’organisation du travail de care. La capacité d’agir des travailleuses migrantes renvoie à la liberté réelle dont elles disposent pour prodiguer les soins, qui est en fait conditionnée par les ressources disponibles et les supports collectifs accessibles dans leur environnement de travail (Sen 1999, 2000 ; De Munck et Zimmermann 2008 ; Zimmermann 2014 ). Ces ressources organisationnelles comprennent leurs conditions de travail et d’emploi ainsi que les politiques de management et de formation de l’institution. Celles-ci s’articulent avec des ressources personnelles, comme leurs qualifications et leurs compétences professionnelles, à leur tour conditionnées par la politique de la « main-d’œuvre étrangère » taïwanaise. Le croisement de ces trois échelles d’analyse (institutionnelle, organisationnelle et biographique) met en lumière un élément essentiel du pouvoir d’agir des travailleuses migrantes : le « souci de soi ». Le « souci de soi (epimeleia heautou, cura sui) », concept développé par Foucault (1994), renvoie au rapport à soi de chaque individu pour accéder à un certain mode d’être. Le « souci de soi » est une manière de limiter et de contrôler le pouvoir afin de ne pas être l’esclave « d’une autre cité, de ceux qui vous entourent, de ceux qui vous gouvernent, de ses propres passions » (Foucault 1994 : 712). Étant prioritaire face au « souci des autres », le « souci de soi » est, selon Foucault, une « pratique de la liberté », et présente, à ce titre, des aspects réflexifs et politiques. Cette enquête sur la condition des travailleuses migrantes interroge donc non seulement la manière dont se construit le travail de care institutionnel à Taïwan, mais aussi le pouvoir d’agir de ces travailleuses dans ce système autoritaire. En contraignant la liberté de « souci de soi » des travailleuses migrantes, l’institution se donne ainsi les moyens de maîtriser à son profit le travail de care institutionnel.

La première partie de cet article présente le contexte taïwanais, où s’est opérée, depuis les années 1990, une ethnicisation de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. La seconde partie s’emploie à distinguer les structures de domination et les pratiques que la maison de retraite, en tant qu’institution totale, met en place pour garantir le déroulement du travail de care. Les deux dernières parties de ce texte interrogent les possibilités des travailleuses migrantes, dans un contexte de travail sous contrainte, de déployer les « capacités » nécessaires pour trouver un équilibre entre la préservation du souci de soi et le maintien d’un souci des autres.

Encadré 1. Méthode d’enquête


Cette étude s’appuie sur une enquête menée en 2010 dans une maison de retraite gérée par une fondation privée à but non lucratif située au nord de Taïwan. L’enquête de terrain repose sur un stage d’observation participante où ont été suivies pendant deux mois en alternance deux équipes de travailleuses du care, une de jour et une de nuit. Ces observations ont ensuite été étoffées par la transcription des discussions informelles ayant eu lieu au cours du stage et par des entretiens réalisés avec deux travailleuses migrantes et deux aides-soignantes taïwanaises. Les entrevues sont basées sur une grille d’entretien composée de questions portant à la fois sur le travail des personnes interrogées et sur leur parcours biographique. Il faut noter que les deux travailleuses migrantes ont souhaité que ces entrevues soient réalisées à l’insu des autres membres du personnel et de leur employeur. J’ai également collecté un certain nombre de documents administratifs. Malheureusement, l’enquête a été interrompue en raison d’un conflit qui opposait une travailleuse migrante, Nuage [3], à l’institution. Tenant à pouvoir lui fournir des informations relatives au droit du travail, j’ai choisi de renoncer au terrain et aux entretiens programmés pour pouvoir lui apporter mon soutien. L’expérience vécue au cours de cette enquête prouve que l’établissement de soins constitue un « terrain sensible » (Dozon 2005) structuré par des rapports de pouvoir et de domination.

Encadré 2. Présentation de la résidence Fú-shòu (福壽)


La résidence Fú-shòu, située dans la région de Taïpei [4], est un « établissement pour le bien-être des personnes âgées [5] » de type « multicatégoriel » qui accueille des personnes âgées présentant des niveaux divers de dépendance. Elle dépend de la fondation Fú-shòu dont le statut légal est celui d’une personne morale de droit privé à but non lucratif. La fondation gère plusieurs établissements pour personnes âgées dont certains sont mandatés par des mairies. Cette résidence a été construite dans les années 1990 et accueille au moment de mon stage (2010) 105 personnes âgées, réparties sur 4 étages. Les résidents atteints de démence sénile ne bénéficient pas de prise en charge spécifique et sont répartis dans tous les étages. Les chambres sont disposées entre les deux murs d’un couloir et chaque chambre comprend de 2 à 4 lits. Au centre de l’étage se situent un poste infirmier ouvert et un petit salon où les résidents prennent leurs repas. Aucun espace n’est destiné au personnel soignant ou aux réunions. La directrice de la résidence occupe le poste d’infirmière coordinatrice. L’équipe paramédicale comprend 6 infirmières qui encadrent 36 travailleuses du care se répartissant comme suit : 14 aides-soignantes taïwanaises de naissance, 2 aides-soignantes naturalisées taïwanaises d’origines chinoise et vietnamienne, et 20 travailleuses étrangères (3 hommes et 17 femmes). Parmi les travailleuses étrangères, 3 personnes s’occupent des services de restauration et d’entretien et doivent ainsi faire preuve d’une flexibilité fonctionnelle qui contourne leurs attributions légales (le soin). Le personnel de la résidence se compose en outre d’une diététicienne, d’un ergothérapeute, de 2 assistants sociaux, 3 agents administratifs et 2 agents de restauration. Les activités d’animation relèvent de la compétence des assistants sociaux et les travailleuses du care se cantonnent donc aux tâches liées aux soins d’hygiène, à l’aide aux actes quotidiens des résidents ainsi qu’à l’entretien environnemental. La résidence Fú-shòu a fréquemment été classée par les autorités parmi les établissements ayant le premier ou le deuxième niveau de qualité, ce qui lui a permis d’obtenir des subventions publiques avantageuses.

L’ethnicisation de la prise en charge de la dépendance à Taïwan

Influencées par le confucianisme, les politiques de la vieillesse taïwanaises furent longtemps imprégnées d’un caractère familialiste et les activités concrètes de care étaient dévolues aux membres féminins de la famille. La prestation destinée aux personnes âgées en institution, délivrée sous condition de ressources et réservée à celles sans soutien familial, a longtemps constitué le seul dispositif public en la matière (Chen 2011). En raison des transformations sociales, la société taïwanaise postindustrielle a eu des difficultés à concilier le manque d’« aidants familiaux » et la norme de piété filiale. À partir de 1992, le gouvernement taïwanais a fait appel à une « main-d’œuvre étrangère de soins » relevant de la politique de « travailleurs invités (guest workers) » pour prendre en charge les personnes dépendantes à domicile et en institution. Cette politique a impulsé le processus d’« ethnicisation » de la prise en charge de la dépendance à Taïwan (Lan 2005 ; Tseng 2004). Tout au long de ce processus, du recrutement des travailleuses de care en passant par leur formation et jusqu’à la définition de leurs conditions de travail et d’emploi, des dispositifs de ségrégation dans la construction sociale du travail de care ont été instaurés.

Ces travailleuses migrantes du care sont très majoritairement des femmes provenant de quatre pays d’Asie du Sud-Est : l’Indonésie, le Vietnam, les Philippines et la Thaïlande [6]. En 1999, le ministère du Travail a exclu du cadre d’application de la « loi sur les normes du travail [7] » les travailleuses migrantes recrutées pour exercer à domicile. Cela a eu pour conséquence d’augmenter de manière spectaculaire l’effectif des travailleuses migrantes qui a doublé entre 2002 et 2015 pour atteindre 220 000 travailleuses. Une majorité écrasante (94,9 %) des travailleuses migrantes est recrutée directement par des particuliers, des employeurs-familles, et seulement 5,1 % d’entre elles travaillent en institution [8]. Ces chiffres sont à mettre en relation avec le fait qu’en 2014, on estimait qu’environ 10 % des personnes âgées dépendantes étaient prises en charge en institution contre 90 % de prises en charge à domicile [9].

L’idéal du « vieillir chez soi » n’est ainsi maintenu que grâce à la possibilité d’« externaliser la vertu de piété filiale » (Lan 2006), alors même que la politique d’ethnicisation de la prise en charge de la dépendance va à l’encontre de l’objectif politique de développement d’un « système de soins de longue durée [10] ». Le “dumping social” nuit en l’occurrence au développement de l’emploi des aides-soignantes taïwanaises dans les services de community care ou en institution. En effet, seul un tiers des aides-soignantes taïwanaises diplômées travaillent dans le domaine du care [11]. Dans le cadre de la politique de « soins de longue durée », la prise en charge de la dépendance en institution est reléguée à une place marginale. Le gouvernement taïwanais se contente du rôle de contrôleur et n’a pour seul objectif que de discipliner les institutions par le biais d’évaluations entraînant des récompenses ou des sanctions. Dans un contexte où le recrutement de personnel soignant local est difficile, la « main-d’œuvre étrangère de soin », bien moins chère, constitue un levier d’ajustement incontournable pour les institutions.

Si les travailleuses migrantes recrutées en institution sont censées être protégées par le droit du travail, elles subissent en réalité un traitement discriminatoire, en raison des contrôles rigoureux imposés par la « loi de service pour l’emploi ». En institution, les travailleuses du care sont réparties en deux groupes au statut distinct : le « personnel de services de soin taïwanais [12] » et la « main-d’œuvre étrangère ». Quelle que soit leur nationalité, elles effectuent toutes les mêmes tâches dans l’institution qui les emploie. Quel impact l’ethnicisation du care a-t-elle sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes ? Comment les travailleuses du care ayant une position clairement inférieure prodiguent-elles les soins ? Quelles sont les conséquences de ces inégalités au sein des équipes sur le travail de soin ? Je me propose d’ébaucher des pistes de réponse en m’appuyant sur une analyse des mécanismes de contrôle des travailleuses migrantes, analyse qui démontre que ces mécanismes conditionnent de manière sensible leur capacité à se soucier des autres.

Les structures de domination en institution totale

Professionnalisation versus disqualification

Dans la résidence Fú-shòu, la logique de l’institution est avant tout de tirer un maximum d’efficacité de la force de travail disponible. Une politique de contrôle rigoureux est censée permettre des économies du coût de fonctionnement. Dès leur entrée au Fú-shòu, les travailleuses migrantes connaissent un double processus de construction identitaire : d’une part, un processus de professionnalisation, où elles doivent se construire en tant que « pourvoyeuses de soins » professionnelles, et d’autre part, un processus de disqualification, induit par la construction de soi en tant que « recluse » au sein d’une institution totale.

Le processus de professionnalisation des travailleuses du care au Fú-shòu diffère en fonction de leur nationalité. Les aides-soignantes taïwanaises ont le droit de suivre une formation d’aide-soignante et voient leur qualification reconnue officiellement, alors que les travailleuses migrantes sont privées de tels droits et se contentent d’apprendre les techniques de soin « sur le tas ». Selon Zimmermann (2012), la « capacité à se former » est une des capacités constitutives du développement professionnel. La privation de ce droit à la formation, en plus des difficultés liées à la barrière de la langue, met donc les travailleuses migrantes en situation d’infériorité face à leurs collègues taïwanaises. Ces dernières rationalisent cette inégalité structurelle et tendent à justifier l’« (in)employabilité » de leurs collègues étrangères par leurs origines ethniques. Beaucoup de travailleuses migrantes en éprouvent une certaine amertume.

Chaque matin MāMā Wang (une aide-soignante taïwanaise) me blâmait et j’en étais triste… Si je faisais correctement mon travail, elle me critiquait, c’était pareil lorsque je faisais des erreurs. Tu sais qu’à la fin je ne lui posais plus de questions […] Elle a dit plusieurs fois vouloir me renvoyer au pays. Elle m’a dit : « Tu veux être renvoyée (au pays) ? » Et je lui ai répondu : « Peux-tu me renvoyer ? Tu t’occupes de ton boulot ! As-tu également le droit de me renvoyer ? Pourquoi tu me parles comme ça ? » J’étais vraiment en colère.
(Nuage, travailleuse vietnamienne d’une trentaine d’années.)

Les deux principaux moyens auxquels recourt l’institution pour transformer la « main-d’œuvre étrangère », souvent peu qualifiée, en une force de travail docile et contrôlable sont, d’une part, l’exploitation économique et, d’autre part, la privation de libertés individuelles. Ces deux mécanismes, qui ont pour effet de dépouiller les travailleuses migrantes de leurs ressources et de leurs droits, sont renforcés par la complicité entre l’État taïwanais, les agences de placement, taïwanaises et étrangères, et la maison de retraite, ce qui renvoie au triangle du contrôle et de la surveillance défini par Foucault (1975). Ce « régime du pouvoir disciplinaire » (Foucault 1975 : 185) fait fusionner les techniques de surveillance hiérarchique avec les pratiques punitives, et intervient ainsi dans tout le processus de « production » d’un care normalisé en institution.

L’exploitation économique

Au niveau institutionnel, dans le but d’assurer la stabilité d’une « armée de réserve du travail de care », la « loi de service pour l’emploi » légitime la privation de la liberté de mobilité professionnelle des travailleuses migrantes. Celles-ci n’ont le droit de changer ni d’employeur ni de type d’emploi. Elles ne peuvent être recrutées qu’en CDD de 2 ans renouvelable un an et ne peuvent enchaîner que 3 CDD pour une durée maximale de 9 ans [13]. Cela contraint les travailleuses migrantes à vivre dans une situation économique et professionnelle précaire : en effet, la majorité de ces femmes a contracté un prêt pour pouvoir payer les frais d’agence exigés pour obtenir le droit de venir travailler à Taïwan. En outre, de nombreux prélèvements directs sur leur salaire fragilisent et paupérisent ces travailleuses. Ainsi, afin de renforcer son contrôle sur les travailleuses migrantes, l’employeur retient mensuellement une « épargne forcée » de 5 000 dollars taïwanais (TW), bien que cela ait été interdit par l’autorité compétente [14]. Cet argent, qui équivaut à environ 30 % de leur salaire, leur est restitué lorsqu’elles retournent dans leur pays d’origine. Le revenu mensuel effectivement perçu est donc très bas et ne dépasse guère plus de 30 % du salaire total dans les cas les plus extrêmes [15].

La « mort civile » des travailleuses migrantes

Le contrôle social de l’institution totale sur ces travailleuses se manifeste non seulement à travers l’interdiction de mobilité professionnelle et l’exploitation économique, mais également à travers la « mort civile » que subissent les travailleuses migrantes. La « mort civile », selon Goffman, renvoie à « une série d’humiliations, de dégradations, de mortifications et de profanations » (1968 : 56) de la personnalité des « recluses », visant à les déposséder de leurs rôles antérieurs, de leur ancien statut et de certains de leurs droits. Si la politique qui définit le statut des travailleuses migrantes crée les conditions préalables à la privation de leur liberté, c’est en revanche chaque institution qui détermine la façon dont s’organise l’univers de ces travailleuses « recluses ». Au lieu d’avoir pour objectif de développer leur « capacité de care », les gestionnaires les cantonnent en une armée de réserve du care. Des techniques prenant appui sur la « discipline » imposent un « rapport de docilité-utilité » qui rend le corps des travailleuses migrantes « d’autant plus obéissant qu’il est plus utile » (Foucault 1975 : 139-143).

L’exercice de ce pouvoir passe d’abord par l’enfermement aussi bien physique que psychologique des travailleuses migrantes afin de les isoler du monde extérieur, en l’occurrence, de la société taïwanaise. Pour contrôler le quota de travailleuses étrangères dans le pays de façon stricte, la législation taïwanaise octroie à l’employeur le droit de prendre en charge la vie privée des travailleuses migrantes. Un « projet disciplinaire réglant la vie des travailleurs étrangers [16] » qui correspond aux critères réglementant leurs conditions de vie doit être établi par ses soins. Ainsi, par exemple, les travailleuses migrantes n’ont pas le droit de choisir librement leur lieu d’habitation. Elles sont obligées de loger dans des dortoirs collectifs constitués de cabanes en tôle construites sur les toits de la résidence. Les conditions de vie y sont difficiles : l’absence de toute intimité et l’alternance des horaires de travail entraînent de fréquentes tensions au sein du groupe de travailleuses migrantes. Par le biais d’un « régime de dortoir-travail », comme le décrit Pun (2005) dans son étude sur les ouvrières d’une usine en Chine, la vie privée des travailleuses migrantes fait l’objet d’une surveillance permanente. Ce « régime de dortoir-travail » restreint l’existence des travailleuses migrantes presque exclusivement à l’espace de production du care, et réduit ainsi, pour l’institution, les incertitudes liées à la force de travail en augmentant sa flexibilité. Ce mode de management, visant à contrôler à la fois le travail et les employées, met les travailleuses migrantes dans une situation de « panoptisme », au sens où l’a défini Foucault (1975). Ainsi, au Fú-shòu, la seule issue du bâtiment se trouve au rez-de-chaussée, où se trouve également le bureau du service du personnel. Les travailleuses migrantes doivent donc obligatoirement présenter le motif et la durée de leur sortie avant de pouvoir disposer de leur temps libre. Chaque soir, à 22 heures, une infirmière fait l’appel devant les dortoirs pour vérifier qu’elles sont bien présentes. Le manque de jours de repos et de congés restreint drastiquement leurs possibilités de contact avec la société taïwanaise et les empêche de tisser des liens sociaux, qu’ils soient inter- ou intra-ethniques.

Le complément aux mécanismes de surveillance et aux règles de discipline est la « punition » (Goffman 1968 ; Foucault 1975), qui combine exploitation économique et privation de liberté individuelle. Ces deux formes de dépossession de soi (self) (Goffman 1968 : 41-119, 1973) sont flagrantes dans le règlement intérieur même de l’institution (voir annexe 1), qui régit de manière précise les comportements, les rapports interpersonnels et la liberté individuelle des travailleuses migrantes. À l’occasion d’une discussion informelle avec la directrice, celle-ci m’expliqua qu’elle avait sanctionné une travailleuse migrante parce que celle-ci s’était absentée après son travail sans demander d’autorisation et, que, n’ayant pas pu rentrer à l’heure pour reprendre son travail, elle avait dû être remplacée. Selon la directrice, une sanction s’imposait afin de pouvoir garder son autorité vis-à-vis des autres travailleuses migrantes. La travailleuse migrante écopa d’une interdiction de sortie durant un mois.

La punition, sous forme d’amendes infligées en cas de violation du règlement, constitue une menace permanente qui assure le contrôle des travailleuses migrantes. La crainte d’une perte de revenu pousse les travailleuses migrantes à ne pas prendre leurs jours de repos, ce qui contribue à soulager les besoins en main-d’œuvre de l’institution. Elles remplacent au pied levé les absences de leurs collègues taïwanaises sans même que l’administration ait besoin d’intervenir. En s’appuyant sur ces deux formes de dépossession de soi, l’exploitation économique et la privation de libertés individuelles, la résidence Fú-shòu a ainsi les moyens d’éviter l’épineux problème du manque de personnel.

La division du travail de management entre l’institution et l’agence de placement

Pour assurer la soumission des travailleuses migrantes et pour éviter toute forme de désobéissance, l’institution et l’agence de placement taïwanaise se partagent les tâches de management. L’institution, qui gère tout ce qui concerne le « travail », contrôle le processus de production du care sur place ainsi que les libertés individuelles au moyen du « régime de dortoir-travail ». L’agence contrôle tout ce qui relève de l’« emploi », depuis le processus de recrutement jusqu’au renvoi des travailleuses dans le pays d’origine à la fin de leur contrat. Les travailleuses migrantes doivent payer mensuellement à l’agence des « frais de service » équivalant à environ un dixième de leur salaire, dont elles ne tirent aucun bénéfice précis. L’employeur délègue ainsi une partie de sa responsabilité de management à l’agence, et ce sont, en quelque sorte, les travailleuses migrantes elles-mêmes qui payent le coût du contrôle social qui leur est imposé. À l’expiration de leur CDD, si ces dernières veulent continuer à travailler à Taïwan, elles sont souvent obligées de payer une nouvelle fois les frais d’agence, même quand elles retournent chez le même employeur. Pour échapper à la double exploitation économique, certaines prennent la fuite et vont travailler ailleurs clandestinement. Dans ce cas, les enquêtes policières pour les retrouver rendent leur parcours encore plus précaire. Si une travailleuse n’est pas retrouvée 6 mois après sa fuite et si la raison de la fuite ne peut pas être imputée à l’employeur, l’établissement de soins peut demander une autorisation pour la remplacer. Dans le cas où le nombre de travailleuses qui se sont enfuies est trop élevé, l’autorité compétente peut refuser de délivrer de nouveaux permis de recrutement ou de renouveler les contrats existants. Ainsi sanctionnée, l’institution risque de se retrouver en manque de personnel, ce qui accentue son contrôle. La logique policière régissant la politique des travailleuses migrantes est aveugle à la réalité de la prise en charge de la dépendance. Le taux de fuite des travailleuses migrantes fait partie des critères d’évaluation officielle des agences de placement, ce qui finit par entériner ce mode de fonctionnement.

Le lien de complicité entre les institutions de soins et les agences de placement m’est apparu particulièrement évident lors d’une inspection de la responsable de l’agence au Fú-shòu après la fuite d’un travailleur vietnamien. Cette responsable a en effet expliqué en plaisantant qu’elle était venue immédiatement car le gérant de la résidence était également son “patron”. Cet exemple illustre bien la connivence entre les différentes instances, qui ont un intérêt commun à garder les travailleuses migrantes sous contrôle, y compris pour des questions financières (frais d’agence). Les travailleuses migrantes estiment en effet, mais cela est difficile à vérifier, que l’institution tire profit des frais d’agence destinés aux agences des pays d’origine car, dans certains cas, c’est leur employeur qui prélève directement ces frais sur leur salaire. Des études se sont penchées sur les liens qui existent entre les agences taïwanaises et celles des pays d’origine des travailleuses migrantes (Wang 2005 ; Lan 2005). Parfois, ce sont des agences taïwanaises qui gèrent directement des agences de placement à l’étranger. Nuage, une travailleuse vietnamienne, a renouvelé son contrat après 3 ans de travail au Fú-shòu et a dû payer, à cette occasion, les frais d’agence une deuxième fois, soit une somme équivalente à un an et demi de son salaire, ce qui la privait de ressources.

La délégation de la fonction disciplinaire de l’institution aux agences de placement est une caractéristique du lien de collusion entre les deux entités. La barrière de la langue fait qu’il est indispensable d’utiliser les interprètes dont disposent les agences pour mener à bien les lourdes procédures bureaucratiques liées au contrôle des travailleuses migrantes. Chaque mois, l’employeur organise une réunion en présence de l’agence, la seule à laquelle les travailleuses migrantes ont le droit d’assister. Durant mon stage, je n’ai pas pu participer à ces réunions et n’ai donc pu que demander aux conscrits effectuant leur service civil [17] au Fú-shòu ce qui s’y passait. Il semble que ces réunions visent à renforcer la discipline au moyen de processus de persuasion, d’infantilisation, voire d’intimidation des travailleuses migrantes.

Chaque fois, ils s’en vont après leur avoir fait la morale. Ils sont venus et ont dit : « Est-ce que vous savez ce que sont devenues celles qui ont déjà fui ? Elles se sont suicidées, ont été brûlées, battues et sont mortes. » Elle [la patronne de l’agence] les a menacées de cette manière pendant près de 2 heures ! […] Le jour même, il y en a eu une qui a encore fui. Donc maintenant, ils ont changé de discours. Ils commencent par leur offrir des gâteaux, McDonald’s… trucs comme ça […] A-Zeng [une travailleuse vietnamienne] l’a bien dit : « Ça sert à quoi de me donner des gâteaux ? Il suffit d’arrêter de nous prélever chaque mois 1 800 dollars [18] ! »
(Un conscrit, environ 25 ans.)

L’agence de placement taïwanaise n’assume pas seulement un rôle disciplinaire, elle peut se transformer en une menace que brandit l’institution en toute occasion pour se débarrasser de travailleuses étrangères indésirables. Ainsi, Nuage, qui en était à la fin de son deuxième CDD avec 5 ans d’ancienneté et en attente d’un prolongement d’un an, a demandé un congé de quelques jours pour rentrer dans son pays et se marier. À ce moment-là, Nuage venait de rembourser sa dette pour les frais d’agence de son deuxième contrat, soit 4 800 dollars US [19]. Sa demande a d’abord été refusée en raison du « manque de personnel » et, quelques jours plus tard, l’employeur a décidé de la renvoyer en rompant définitivement son contrat. Elle a donc rapidement tenté d’annuler sa demande de congé, mais l’employeur a insisté pour la renvoyer sous prétexte que « la décision avait déjà été prise par l’agence ». En fait, c’était tout au bénéfice de l’agence, puisqu’il s’avère qu’en engageant une nouvelle travailleuse migrante, elle percevra à nouveau les frais de placement. Les travailleuses migrantes du care sont ainsi réduites à une marchandise par les mécanismes du pouvoir. Elles sont considérées comme des travailleuses “jetables”, dont le savoir-faire dans la prise en charge de la dépendance ne vaut rien aux yeux de l’institution. Dans ces conditions, de quelle manière la discrimination sociale et professionnelle des travailleuses migrantes s’articule-t-elle avec les normes du care et les pratiques de soin à la personne ?

Prendre soin des autres en étant « recluses »

La non-maîtrise du mandarin pose de grandes difficultés aux travailleuses migrantes dans leur travail quotidien. Les problèmes de communication, tant avec les personnes âgées qu’avec leurs collègues taïwanaises, les disqualifient au niveau professionnel. Les agences des pays d’origine leur dispensent en général une formation basique avant leur départ (Lan 2005, 2016), mais ces formations rapides leur sont insuffisantes pour pouvoir répondre aux besoins sur le terrain. En outre, l’institution refuse aux travailleuses migrantes le droit d’assister aux réunions d’équipe concernant la prise en charge des résidents, au prétexte qu’une partie du personnel doit rester aux étages pour assurer leur sécurité. Elles ne sont donc informées que par l’intermédiaire de leurs collègues taïwanaises et subissent ainsi les conséquences d’une communication partielle et partiale. Le manque de moyens d’accès aux informations importantes les prive également de liberté d’expression, ce qui, en fragilisant leur identité en tant que professionnelles de soin, fragilise aussi leur « capacité de care ».

Les « adaptations secondaires » des travailleuses migrantes

Le manque de ressources et l’inégalité de position sociale mettent les travailleuses migrantes en situation de dépendance vis-à-vis des aides-soignantes taïwanaises. Maintenir de bons rapports avec ses collègues taïwanaises devient alors primordial pour s’assurer une certaine forme d’intégration dans la vie interne de l’institution. Les travailleuses migrantes développent un lien quasi familial avec les aides-soignantes taïwanaises. Elles appellent souvent les aides-soignantes taïwanaises plus âgées « Māmā [20] X (le nom) », terme qui a un sens respectueux et efface le sentiment d’infériorité lié au « sale boulot (dirty work) » (Hughes 1951 ; Arborio 2001). L’écart d’âge moyen, 33 ans pour les travailleuses migrantes et 50 ans pour les aides-soignantes taïwanaises, justifie aussi cette appellation. Par compassion, les aides-soignantes taïwanaises leur offrent parfois de petits cadeaux, les invitent à sortir pour se promener et mieux connaître la ville, ou leur donnent des conseils pratiques en cas de besoin. La nature des liens ainsi développés encourage une relation de protection maternelle – autre forme du paternalisme – qui contribue à renforcer un rapport d’inégalité entre les deux groupes. Il s’avère que le remplacement des aides-soignantes taïwanaises absentes par des travailleuses migrantes repose sur le donnant-donnant. Ainsi, s’écartant de l’identité de « recluses » imposée par l’institution totale, les travailleuses migrantes tentent de développer des relations personnelles et des liens de protection, ce qui constitue pour elles des « adaptations secondaires » au sens où Goffman les décrit (1968 : 98). Cela leur permet de préserver un minimum d’identité propre en atténuant le stigmate que leur imprime un univers où presque tous les privilèges d’une existence libre sont abolis (Castel 1968).

La capacité à se soucier des autres dans le « sale boulot absolu »

Le rapport de dépendance ou d’entraide entre pairs ne peut cependant pas compenser l’entrave à la capacité d’agir des travailleuses migrantes au sein de l’institution. Toutes les travailleuses du care, qu’elles soient étrangères ou taïwanaises, doivent effectuer des tâches ménagères et partagent, au niveau du déroulement du travail, une même condition. Le principe d’organisation du travail consiste à ne leur laisser aucun temps mort afin d’optimiser au maximum la force de travail. Dans la journée, 4 travailleuses s’occupent en moyenne de 30 résidents, et l’effectif est divisé par deux pendant la nuit. Le calcul du temps de travail est ambigu. Chaque équipe assure 12 heures de travail, dont 2 heures non rémunérées qui sont décomptées comme des temps de pause durant lesquels les équipes sont censées prendre leur déjeuner et leur dîner. Pourtant, les travailleuses n’ont pas le droit de quitter leur poste pendant cette pause et l’utilisent souvent pour venir à bout des tâches qu’elles n’ont pas eu le temps de terminer. Malgré la similitude au niveau du contenu et de la charge du travail de care, les conditions de travail sont en fait discriminatoires vis-à-vis des travailleuses migrantes par rapport aux aides-soignantes taïwanaises (voir la comparaison systématique dans l’annexe 2). Situées au plus bas de l’échelle de l’institution, les travailleuses migrantes sont obligées de prendre en charge le « sale boulot absolu » (Arborio, 2001 : 122-124), à savoir ici, le travail de nuit. « Les taïwanaises ont leurs familles ! Celles qui ont de la famille, des enfants, ne veulent pas travailler de nuit », m’ont expliqué les aides-soignantes taïwanaises. Ainsi, les « recluses », dépossédées de leur vie privée, doivent s’en charger. Une travailleuse migrante ne perçoit qu’une prime de nuit symbolique de 50 dollars TW, là où une aide-soignante taïwanaise perçoit 200 dollars TW. Le travail de nuit ne donne pas droit à du temps de repos compensateur et la durée de travail effectif hebdomadaire peut aller jusqu’à 84 heures, ce qui constitue une évidente violation de la loi [21]. Avant qu’elles partent travailler à Taïwan, l’agence fait signer aux travailleuses migrantes des documents précisant les conditions de travail, et en particulier les 2 heures de temps de pause qui ne sont pas réellement respectées par l’employeur. Ces documents servent d’abord à protéger l’employeur en cas d’inspection de l’autorité compétente ou de litige avec les travailleuses. Les travailleuses migrantes n’ont donc aucune marge de manœuvre pour négocier leurs conditions de travail. Lors de mes stages d’observation de nuit, beaucoup de travailleuses ont évoqué divers problèmes de santé, comme des douleurs à l’estomac, des maux de tête ou des difficultés à dormir. Elles ne peuvent que prendre des médicaments pour soulager leurs malaises car, ne bénéficiant pas du droit aux arrêts maladie, elles ne peuvent pas se permettre d’être malades.

La rationalisation du travail de care voulue par les structures cantonne les travailleuses migrantes à un rôle de pure exécution des soins corporels. Sous prétexte qu’elles ne maîtrisent pas la langue, elles sont exclues des formations en interne sur les connaissances médicales ou paramédicales dont bénéficient les aides-soignantes taïwanaises, et suivent à la place des formations réduites portant sur les techniques de soins pratiquées par l’institution. La barrière linguistique limite les échanges approfondis avec les personnes âgées, notamment avec celles qui sont atteintes de démence sénile. Quelles « armes des faibles (weapons of the weak) » (Scott 1985) ces travailleuses migrantes possèdent-elles pour résister à ce manque de « capacité de care » ? Les possibilités qu’elles ont pour résister résident peut-être seulement dans leur façon de s’affirmer, en tant qu’acteur du care, dans les relations asymétriques qu’elles entretiennent par ailleurs avec les résidents. Tout comme les aides-soignantes taïwanaises, chaque travailleuse migrante a son style particulier pour prendre en charge les personnes âgées dépendantes. Entre l’improvisation et un manque d’opportunités réelles pour développer leur « capacité de care », les travailleuses migrantes peinent à articuler leur double statut de « recluses » et de pourvoyeuses de care. Lors de mes observations de nuit, j’ai ainsi pu noter que Nuage chantait des chansons vietnamiennes même lorsqu’elle était en train de nettoyer les excréments des personnes âgées, alors que Pivoine me faisait remarquer que « lorsque les personnes âgées sont méchantes, il suffit d’être plus méchante qu’elles ». Des signes de négligence ou même de maltraitance, à l’insu de leur surveillant, existent parfois sur le terrain chez des travailleuses, taïwanaises et étrangères. Cela est dû non seulement au manque de formation et de qualification des travailleuses migrantes, mais aussi au fait qu’il existe peu de marge de liberté dans les conditions difficiles du travail de care.

Care sous contrainte et souci de soi

Le sens du travail de care

Les travailleuses migrantes enquêtées disent venir à Taïwan pour « travailler » et pour « gagner de l’argent », bien que certaines indiquent qu’elles « aiment » s’occuper des personnes âgées. Malgré un investissement dans la durée auprès des résidents, aucune d’entre elles n’a évoqué de projet de professionnalisation dans le domaine du care. Le sens que les travailleuses donnent au travail de care correspond bien à celui que l’institution totale dans laquelle elles évoluent contribue à forger : un care “marchandisé” et prodigué sous la contrainte, où la valeur économique de la « main-d’œuvre étrangère » et son exploitation prévalent.

Je ne me plains jamais. Je sais que je viens ici pour… je viens à Taïwan pour gagner de l’argent, même si le travail est dur, je le sais. Si tu travailles dans un autre pays que le tien, tu n’as pas trop le droit de te plaindre. Tu sais que nous ne sommes pas des taïwanais, il est très difficile de se plaindre.
(Marc, environ 30 ans, travailleur de nuit originaire des Philippines.)

Des supports collectifs difficiles à convertir en capacité d’agir

Selon Castel, un « support » signifie un ensemble de conditions objectives de possibilités, une capacité à disposer de ressources diverses « qui sont les assises sur lesquelles peut s’appuyer la possibilité de développer des stratégies individuelles » (Castel et Haroche 2001 : 30). Prises au piège d’un système marchand qui les prive de leurs libertés, les travailleuses migrantes disposent-elles cependant d’une marge de manœuvre ? Au Fú-shòu, on retrouve, chez les gestionnaires comme chez les travailleuses du care, sans distinction de nationalité, le même discours à propos du rapport de force entre employeur et salariés.

Ce que le patron n’arrive pas à faire, ça ne sert à rien que tu le lui demandes.
(La directrice adjointe.)

Ça ne sert à rien de s’exprimer. Si l’employeur n’a pas les moyens de le faire, ça ne sert à rien si tu le lui demandes.
(Wen-Yu, une aide-soignante taïwanaise d’environ 50 ans.)

Je ne suis pas satisfait, mais si je me plains, ça ne marche pas. N’est-ce pas ? Bien sûr tu peux te plaindre, et tu choisis, tu veux travailler ? Ou alors tu quittes Taïwan et tu rentres chez toi. Je n’ai pas le choix, n’est-ce pas ?
(Marc, travailleur philippin.)

La mise en scène de la première élection des délégués du personnel, dont l’enjeu était, pour l’employeur, de pouvoir contrôler la future réunion salariés-employeurs imposée par la loi [22], illustre bien le manque de droits réels des travailleuses du care. Le jour du scrutin, parmi les 5 candidates, il y avait une aide-soignante taïwanaise et une travailleuse vietnamienne, mais toutes deux ignoraient leur candidature. L’élection a quand même eu lieu. La travailleuse vietnamienne était contente, au moment des résultats, de ne pas avoir été élue : « Nous ne sommes que des travailleuses étrangères, on vient ici juste pour travailler, cela suffit que chacune bosse sérieusement et se concentre sur son propre travail ». Elle avait tout de même remporté un nombre de votes équivalent aux trois quarts des travailleuses étrangères. Même après la fin de l’élection, personne n’est venu lui expliquer pourquoi elle avait été nommée candidate. Il s’avère que les travailleuses du care ont de la peine à convertir le droit formel d’expression des salariés en véritable capacité d’agir. Ce frein, chez les travailleuses migrantes, contribue nettement à augmenter leur risque de se retrouver confrontées à la précarité du travail et de l’emploi. Certes, les travailleuses migrantes ne peuvent jamais être réduites à de simples victimes, mais les efforts de chacune pour préserver un minimum de sa liberté se heurtent aux structures de pouvoir et à des carences dans la construction d’un « nous » collectif. En revanche, la revendication d’une marge de “négociation” et une éventuelle résistance ont tendance à se manifester sous d’autres formes, souvent sous l’aspect de conflits entre membres du personnel, ou de problèmes en dehors du travail.

Prenons l’exemple des frais de logement et d’alimentation. L’employeur demande à ce titre un paiement mensuel de 5 000 dollars TW, ce qui équivaut à 30 % du salaire mensuel. Les repas sont en revanche proposés gratuitement au personnel taïwanais au prétexte que, d’après la directrice adjointe, « nous sommes une famille ». Les travailleuses migrantes ont des difficultés à s’adapter à l’alimentation en résidence car les repas offerts sont les mêmes que ceux préparés pour les résidents. Les travailleuses de nuit, parce qu’elles dînent tard, se voient proposer de la nourriture défraîchie et sont obligées de dépenser encore plus d’argent pour pouvoir cuisiner elles-mêmes. Certaines d’entre elles tentent de négocier avec les cadres et la diététicienne pour qu’on leur donne « un œuf de plus » à chaque dîner, ou bien pour faire diminuer leurs frais d’alimentation. Bien que la loi [23] impose à l’employeur de respecter les choix alimentaires des travailleuses migrantes, ce droit formel n’est pas converti en liberté de choisir ou en pouvoir d’agir. Les demandes ne sont jamais prises en compte au titre du droit des travailleuses migrantes, et n’aboutissent ni à un changement d’alimentation, ni à une diminution des frais.

Le recours à l’autorité compétente est le seul support légitime dont pourraient profiter ces travailleuses. Pourtant, les possibilités de recours sont très rarement converties en capacité d’agir en raison de la difficulté des travailleuses migrantes à accéder aux informations concernant leurs droits. Aucune des travailleuses de l’établissement n’a reçu le livret destiné aux travailleurs migrants publié par le ministère du Travail, malgré le prélèvement par l’agence de placement de « frais de services » supposés y correspondre. Quand une inspection a lieu au travail, le silence règne parmi les travailleuses migrantes, menacées par l’agence et par l’employeur de sanctions économiques, voire d’un rapatriement vers leur pays d’origine en cas de plaintes formulées.

Lorsque les gens du Conseil du travail sont venus, l’agence nous a dit : « Vite, vite, vite, si vous ne voulez pas faire d’heures supplémentaires, vous n’aurez que 8 heures ! » On a eu peur de ne plus pouvoir faire d’heures supplémentaires, parce qu’on n’a pas assez d’argent sans faire ces heures supplémentaires ! Entre nous il y a beaucoup de conflits à cause de la vie collective mais on n’a rien dit et nous avons signé tous les papiers. Mais on a eu beaucoup de craintes, donc, d’accord, d’accord, tout le monde était d’accord sur tout et on signe tout. (Elle rit.) Nous sommes bêtes, non ?
(Nuage.)

Le « souci de soi » : rompre avec le travail sous contrainte

Pour ces travailleuses migrantes, la seule façon de « se soucier de soi » dans ce type d’institution implique la rupture avec ce travail de care sous contrainte (fuite ou procès en fin de contrat). Lorsque Nuage fut informée de son renvoi au pays, elle décida, grâce à l’aide de l’Association des travailleurs internationaux de Taïwan (TIWA), de demander au bureau du travail local une médiation salarié-employeur. C’était le seul moyen pour elle de suspendre le processus de rapatriement que l’employeur et l’agence réclamaient expressément, même après la demande de médiation. Les informations liées au droit du travail sont des ressources théoriquement ouvertes à tous, mais il manque à ces « recluses » la « capacité d’accès à l’information » (Zimmermann 2012 : 77). Dans le cas de Nuage, non seulement les informations fournies par le service d’assistance téléphonique de l’autorité compétente pour les travailleurs étrangers étaient ambivalentes et insuffisantes, mais en plus, le médiateur envoyé par le bureau du travail était, selon elle, ouvertement du côté de l’employeur. Le jour de la médiation, le médiateur est venu très tard, en fin de journée, et a formellement interdit aux membres de l’association TIWA d’accompagner Nuage pendant la procédure. Il a fait pression sur elle pour signer un document d’accord à l’amiable, écrit en chinois, dont elle ne comprenait pas le contenu. Il l’a aussi poussée à mettre fin le plus vite possible à la médiation sous prétexte qu’« il avait déjà dépassé ses heures de travail ». Sans l’intervention de l’association TIWA, Nuage n’aurait pas pu, ce jour-là, franchir le “rideau de fer” [24] de l’institution et être mise à l’abri par l’association afin de pouvoir poursuivre ses actions en justice. Après la procédure d’appel engagée par Nuage, une autre travailleuse indonésienne a tenté d’engager une action judiciaire contre son employeur. On ne peut pas détailler ici la violence dont Nuage a été la cible tout au long de son combat juridique, ni son parcours précaire qui s’est poursuivi après son retour au Vietnam. Cette précarité continuelle ne provient pas uniquement des conditions faites aux travailleuses du care en tant que « recluses » à Taïwan, elle est également liée aux structures sociales et économiques du pays d’origine qui conditionnent en amont la latitude d’action des travailleuses. Ces différents aspects mériteraient de plus amples développements dans le cadre d’une autre étude entièrement dédiée.

Conclusion

Pour faire face à la crise de la prise en charge de la dépendance, le gouvernement et la majorité des établissements de soin taïwanais organisent le travail de care comme un travail contraint, proche du travail forcé, qui prive les travailleuses migrantes de leurs libertés individuelles et professionnelles. En ethnicisant les conditions de travail et d’emploi dans le domaine du care, l’État taïwanais garantit l’offre de main-d’œuvre aux institutions de soin et transforme celles-ci en une sorte d’institution totale afin d’assurer la docilité des travailleuses migrantes. L’étude empirique montre à quel point la capacité d’agir de ces migrantes dans leur travail de « souci des autres » est restreinte par le pouvoir de domination institutionnalisé et organisationnel qui s’exerce sur leur liberté de « souci de soi ». La ségrégation qui s’opère entre les aides-soignantes taïwanaises et les travailleuses migrantes contribue à fragiliser les travailleuses du care dans leur ensemble. Les travailleuses migrantes sont réduites à un instrument du care n’ayant qu’une valeur économique, à la fois indispensable et aisément remplaçable. Pour se préserver d’une domination institutionnalisée, les travailleuses migrantes développent des stratégies d’adaptation secondaires qui leur permettent de maintenir un minimum de capacité d’agir au sein du rapport de pouvoir entretenu avec leurs collègues taïwanaises.

Dans ce texte, j’ai pu montrer comment une de mes informatrices, Nuage, tentait de concilier ses besoins en termes de « souci de soi » et ses obligations en termes de « souci des autres ». Son exemple montre que cette capacité est conditionnée par l’existence d’appuis extérieurs dont les travailleuses migrantes sont en général dépourvues. L’analyse biographique de cette travailleuse venue du Vietnam met en lumière les difficultés qu’ont les travailleuses du care à accéder au pouvoir d’être et de faire. Témoignant des conditions de travail des migrantes du care à Taïwan, ce texte veut aussi insister sur la nécessité de construire une politique du travail de care sous l’angle d’une responsabilité sociale collective, qui contribuerait à garantir la « capacité à se soucier de soi » aux travailleuses du care, indispensables à une société vieillissante.

Annexe 1 - Réglementation intérieure appliquée aux travailleuses étrangères

1. Une absence lors de l’appel sera sanctionnée par une amende de 200 $ (dollar taïwanais).
2. Défense de sortir entre 10 heures et 18 heures pour le personnel de l’équipe de nuit, sauf pour aller déjeuner. Il faut rester au dortoir pendant cette période. Quiconque viole cette obligation sera sanctionné de 500 $.
3. Sortir sans avoir demandé l’autorisation de s’absenter sera sanctionné de 500 $.
4. Écouter de la musique au casque pendant le travail sera sanctionné de 200 $.
5. Au cours du travail, quitter son poste sans avoir demandé l’autorisation (ex : aller à un autre étage ou au dortoir (des travailleuses étrangères)) sera sanctionné de 500 $.
6. Se disputer avec les collègues au travail sera sanctionné de 500 $.
7. Faire obstacle au bon déroulement du travail à cause d’une mauvaise entente entre collègues sera sanctionné de 500 $.
8. S’assoupir en dehors du temps de pause sera sanctionné de 200 $.
9. Offenser une autre personne sera sanctionné de 500 $.
10. Ne pas utiliser le mandarin (c’est-à-dire parler la langue du pays d’origine) pendant le travail sera sanctionné de 100 $.

Annexe 2 - Différences de traitement entre les aides-soignantes taïwanaises et les travailleuses migrantes au Fú-shòu

add_to_photos Notes

[1Sur l’introduction de la notion anglo-saxonne de care et de ses théories en France, cf. Paperman et Laugier (2005).

[2Dans un souci d’homogénéité de l’article, nous utilisons dans cet article la forme féminine « travailleuses du care » car une forte majorité de ces travailleurs sont des femmes.

[3Les noms des personnes enquêtées et de l’établissement ont été changés dans l’article afin de respecter anonymat et confidentialité. À la résidence Fú-shòu, le nom des travailleuses migrantes est systématiquement traduit en chinois. C’est le cas pour Nuage, par exemple, dont le prénom en chinois est « Yún (雲) », ce qui signifie « le nuage ».

[4Le nom de la ville n’est pas précisé par souci de confidentialité.

[5Cf. La loi « acte à propos du bien-être des personnes âgées » modifiée en 1997.

[6En 2010, 99 % de la « main-d’œuvre étrangère de soins » étaient des femmes. Les hommes représentent 40 % des travailleurs migrants mais travaillent principalement dans les secteurs industriels (source : Agence du développement de la main-d’œuvre du ministère du Travail).

[7Annonce du Conseil du travail du 31 décembre 1998 (réf. n° Tai Lao Zhong Yi 059607).

[8Source : Agence du développement de la main-d’œuvre du ministère du Travail.

[9D’après la Direction générale du budget, de la comptabilité et des statistiques du Yuan exécutif, en charge de l’administration des affaires sociales et de la famille du ministère de la Santé et du Bien-être.

[10La politique du « système de soins de longue durée », qui a été amorcée dès les années 2000, vise à développer les trois volets des services de la prise en charge de la dépendance : les soins à domicile, les services de soins de proximité (community care) et les soins dans les structures d’hébergement.

[11En 2011, on recensait 74 349 aides-soignantes (AS) taïwanaises diplômées. Parmi les 24 188 aides-soignantes qui effectuent le travail de care, 8,5 % fournissent des services d’AS à domicile et 91,5 % travaillent en institution (source : ministère de l’Intérieur).

[12Cet article utilise le terme d’« aides-soignantes taïwanaises » pour désigner le « personnel de services de soin taïwanais ».

[13La durée maximale du séjour des travailleuses migrantes recrutées par les établissements de soin a été prolongée à 12 ans depuis 2012.

[14L’« épargne forcée » a été expressément interdite par une modification du « règlement sur l’autorisation et l’administration de l’emploi des travailleurs étrangers » en 2008 et, en cas de violation, cette pratique est sanctionnée. Cela n’a pourtant pas été suffisant pour empêcher certains employeurs de faire perdurer cette pratique.

[15Par exemple, sur le salaire de Nuage, dont le cas est étudié dans cet article, étaient prélevés mensuellement : les frais d’agence (agence de placement vietnamienne), les frais de services versés à l’agence de placement taïwanaise, les frais d’alimentation et de logement obligatoires et l’« épargne forcée ». Ainsi, durant ses 5 ans de travail, le revenu dont elle a pu disposer librement n’équivalait qu’à celui issu des heures supplémentaires qu’elle effectuait “volontairement”, donc, issu de l’auto-exploitation.

[16Voir l’article 19 et 19-1 du « règlement sur l’autorisation et l’administration de l’emploi des travailleurs étrangers ».

[17À Taïwan, les conscrits effectuent dans certains cas un service civil (« service de remplacement » en chinois) dans le domaine social. Les conscrits au Fú-shòu sont assignés à diverses activités par la direction de la résidence. En particulier, on peut leur demander de participer aux activités d’animation, d’aider à l’hospitalisation des résidents ou de rédiger les comptes-rendus des réunions du personnel.

[18Il s’agit des « frais de services » versés à l’agence de placement taïwanaise.

[19Les frais d’agence sont comptés en dollars américains par l’agence vietnamienne, même si dans le cas de Nuage ces frais ont été prélevés mensuellement sur son salaire.

[20MāMā : “mère” en chinois.

[21Selon la « loi sur les normes du travail », la durée légale du travail à temps complet est fixée à 84 heures par 2 semaines. Pourtant, la loi accorde des dérogations aux métiers désignés par l’autorité compétente, dont fait partie le travail de care en institutions du secteur social. Les durées maximales de travail (heures supplémentaires comprises) ne doivent pas dépasser 12 heures par jour et 240 heures sur une période de 4 semaines consécutives.

[22Cf. le décret « régulation pour la mise en œuvre de la réunion salariés-employeurs ».

[23Cf. le « règlement sur l’autorisation et l’administration de l’emploi des travailleurs étrangers ».

[24Le rideau électrique de la porte de la résidence a été abaissé pour empêcher Nuage d’en sortir. L’association a dû appeler pendant la nuit la police locale pour forcer l’institution à ouvrir sa porte et à laisser partir Nuage accompagnée par le personnel du TIWA.

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Pour citer cet article :

Shao-fen Lee, 2017. « Le care sous contrainte. La prise en charge de la dépendance par des travailleuses migrantes dans une maison de retraite taïwanaise ». ethnographiques.org, Numéro 35 - décembre 2017
Vieillir en institution, vieillesses institutionnalisées. Nouvelles populations, nouveaux lieux, nouvelles pratiques [en ligne].
(https://www.ethnographiques.org/2017/Lee - consulté le 20.04.2024)
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