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Pour citer cet article :Fabrice Grognet, 2012. « Un exemple des relations musée / ethnologie : la genèse des collections « ethnographiques » du musée de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration ». ethnographiques.org, Numéro 24 - juillet 2012Ethnographies des pratiques patrimoniales : temporalités, territoires, communautés [en ligne]. (http://ethnographiques.org/2012/Grognet - consulté le 22.04.2018) Dernier numéro paru :Signalez cet article :
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Un exemple des relations musée / ethnologie :
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Au moment de l’arrivée du migrant, ces représentations initiales de la France et de ses habitants se retrouvent face à celles élaborées parallèlement par les Français. Dès lors, c’est aussi cette confrontation entre imaginaires que l’ethnologue peut proposer de mettre en collection, les identités — tant des migrants que des Français — se redéfinissant au contact et parfois en opposition les unes aux autres. Ainsi, au-delà des choses amenées directement par les migrants ou des lieux occupés par ces derniers, les caricatures, les stéréotypes des Français sur les immigrés, les emprunts — tel l’accordéon des immigrés italiens remplaçant la « musette » des Auvergnats installés à Paris dans le bal populaire (illustr. 3) — , les adaptations des uns aux autres, ou encore les actions de luttes communes contre toute forme de discrimination ou pendant les guerres (illustr. 4), sont à prendre en compte dans le cadre d’une élaboration d’un patrimoine lié à l’immigration en France.
Mais, à l’étude de l’adaptation du migrant à son nouveau milieu et à l’effet qu’il produit sur le milieu d’arrivée, l’ethnologue de l’immigration ajoute « l’effet sur le milieu de départ » (Ferrié ; Boëtsch, 1993 : 242), entrevoyant ainsi la possibilité d’un double terrain entre la France et le pays d’origine, voire les pays de transit. La correspondance, les présents, les actions militantes faites pour changer les choses « au pays » et les entre-aides, peuvent alors montrer l’existence de réseaux transnationaux que les migrants activent ou qui génèrent parfois de nouvelles venues [26]. Autrement dit et suivant en cela une logique classique de recherche, certains « témoins » capables d’évoquer l’histoire de l’immigration en France seraient à collecter à l’étranger afin de constituer idéalement un patrimoine national de l’immigration.
Le principe même de la Cité, s’il ambitionne de placer l’histoire de l’immigration dans une histoire collective et nationale [27], privilégie le recueil des « traces matérielles et immatérielles des cultures de l’immigration » (Toubon, 2004 : 19). Il tend ainsi à distinguer, au sein du ministère de la Culture, un patrimoine « à part » à la Porte Dorée : celui lié à l’arrivée d’étrangers en France. Autrement dit, la participation au projet de la Cité suppose de se reconnaître dans un statut, celui d’immigré ou d’enfant d’immigré, qui est fixé et défini avant tout par la « société d’accueil », mais que les migrants ou leurs descendants ne mettent pas nécessairement en avant dans leur discours spontané. Être ou ne pas être à la Cité implique donc un questionnement, un positionnement vis-à-vis des institutions gardiennes du patrimoine national. Aussi, comme le souligne Arnold Bac, adhérent de « l’Union des engagés volontaires et anciens combattants juifs, leurs enfants et leurs amis » et favorable à une participation de cette dernière au projet de la Porte Dorée, « l’idée de se retrouver dans une Cité de l’immigration n’est pas forcément quelque chose de naturel. Les membres de l’Union se définissent avant tout comme Français et comme juifs. Pas forcément comme des immigrés ».
D’autre part, instaurer un « mode participatif » (Sitruk, 2008), par lequel les propositions de dons d’objets des particuliers et associations contribuent à l’élaboration des collections d’un musée national, implique en retour de la part de l’institution de s’ouvrir à des logiques inattendues ou allant parfois à l’encontre de ses habitudes ou présupposés. Ainsi, de manière emblématique, la première personne à avoir répondu aux sollicitations d’un « appel à collecte » lancé par la Cité avant même son ouverture, est Soundirassane Nadaradjane, né dans la ville de Karikal, près de Pondichéry, en Inde. Se définissant comme « un Français à 10 000 kilomètres de la France » (Grognet, 2008b), Soundirassane Nadaradjane, de nationalité française, décide en effet de faire don de sa valise, avec laquelle il est venu en 1972. Mais ce migrant, ayant dû apprendre le français avant son départ est-il un « immigré représentatif » de l’histoire de l’immigration en France telle que l’avait envisagée le comité de pilotage de la cellule de préfiguration de la Cité ?
Plutôt que de s’enfermer dans une logique liée à la seule nationalité et réifiant la dualité Français / étrangers, le parti pris du musée a alors été d’évoquer, à travers ce parcours, les questions liées à l’identité « ressentie et vécue » et à l’auto-définition d’un migrant aux caractéristiques symboliques analogues à celles d’un étranger. Cette participation spontanée est ainsi devenue l’occasion d’aborder la complexité de la construction perpétuelle et de la définition relative des identités, telle que peuvent le vivre nombre de « migrants » de nationalité étrangère ou non.
Avec l’élaboration de ce type de collections se nouant dans le discours et les représentations, il convient donc de dépasser la dichotomie artificielle entre patrimoine « matériel » et « immatériel », afin d’établir, avec les utilisateurs d’autrefois ou propriétaires actuels des objets, une « mémoire autobiographique ». Supports du récit et souvent déclencheurs de souvenirs oubliés, les objets et documents peuvent alors constituer des « preuves » [28] matérielles allant parfois à l’encontre des souvenirs ou déjouant les pièges d’une « légende familiale » entretenue au fil des générations. Dès lors, il s’agit d’inscrire dans un rapport dialectique mémoire immatérielle et indices matériels, avec l’arbitrage des données historiques établies.
Seulement, les objets témoins d’un exil sont avant tout des rescapés. D’une trajectoire personnelle tout d’abord, mais aussi du travail du temps. Entre les objets que l’on garde, ceux que l’on transmet, ceux dont on se défait ou que l’on jette et encore ceux que l’on perd et que l’on regrette, on s’aperçoit que conserver les choses ou préserver les objets légués ne va pas forcément de soi. Et si la transmission tacite des objets et documents de famille n’implique pas nécessairement que l’ensemble des choses héritées soit conservé, continuer à pouvoir les faire « parler », par le jeu des souvenirs, des non-dits et de l’oubli de la mémoire familiale, semble encore plus délicat [29]. Autrement dit, tant la transmission de la mémoire des familles que le jeu de construction / déconstruction / reconstruction de l’identité individuelle, familiale ou collective, conditionnent la collecte. De même, les représentations que se font les déposants ou donateurs, tant du musée que des objets qu’il lui incombe de présenter, influent sur le discours et le choix des objets proposés [30]. Dans la pratique, le musée agit en effet comme un véritable catalyseur de mémoires. Il est recherché — par les migrants ou leurs descendants — pour contrer l’oubli et les risques d’une rupture de la transmission familiale [31], pour conclure et légitimer une recherche menée de longue date sur l’histoire de la famille [32], pour faire suite à une envie spontanée liée à la visite [33], ou encore pour donner un point de vue citoyen sur la question de l’immigration en France [34].
En entrant dans le musée, les objets qui n’étaient jusque-là que des souvenirs de familles, des archives classées dans des boîtes, des papiers d’identité ou des contrats de travail périmés, se transforment, avec les mémoires qu’ils supportent, en autant d’éléments « officiels » de l’histoire de l’immigration en France. Aussi, l’existence matérielle d’un objet, pas plus que sa fonction initiale, ne préjugent de sa destinée scientifique et patrimoniale et il n’existe pas d’objet à priori « indigne » du musée. Inscrit à l’inventaire du musée, ce regroupement d’objets personnels, de natures et de provenances différentes, trouve alors une unité symbolique, une cohérence administrative, en devenant collection nationale. Le musée ne constitue donc pas un « cimetière » (Moles, 1972) pour les choses matérielles qui ont perdu toute utilité (illustr. 5). Tout au contraire, il est le théâtre d’une « deuxième naissance » pour des objets chargés d’un nouveau statut qui en font désormais des représentants de l’histoire nationale. L’objet — ou le document personnel — est donc placé au cœur de la négociation entre histoire, mémoires et patrimoine, l’objet ayant besoin du musée pour devenir patrimoine, tout comme le patrimoine a besoin de l’objet et de sa mémoire pour devenir musée d’histoire.
En retour, cette « deuxième vie » [35] des témoins matériels augure d’une nouvelle charge affective et symbolique à leur égard. L’expérience de la constitution de l’exposition « Repères » a en effet montré que les objets, notamment prévus initialement pour être donnés au musée, sont réinterprétés et réappropriés par les familles une fois que le principe de mise en vitrine est établi. La transformation du document périmé ou de l’objet souvenir en pièce de musée participant à l’établissement d’une histoire nationale ne va en effet pas de soi, comme il n’est pas toujours évident ni facile de montrer des photographies familiales dans un lieu public. Avec la « vitrinification », ce qui relevait jusque-là du privé et de l’intime devient public. Le don, qui n’engageait au départ que le propriétaire actuel, finit par concerner la mémoire même de la famille, engendrant des négociations en son sein. Tous ces éléments conjugués ont pu ainsi générer, dans certains cas, le regret du don trop hâtif voulant finalement se transformer en prêt ou en dépôt. Au regard de cette expérience, la volonté de faire participer la société civile au projet de la Cité s’est dès lors accompagnée d’une définition spécifique et concertée du mode d’acquisition des objets par le musée. Les familles ou associations doivent en effet avoir l’opportunité de réfléchir, dans la durée et dans la concertation, sur l’avenir de ce qui constitue avant tout leurs souvenirs. Aussi, à une démarche de « don spontané », qui fait du musée le propriétaire définitif des documents, a été préférée une politique de « dépôt concerté » (restant également ouverte à toute proposition de don) afin de laisser le temps de la réflexion, avant d’engager éventuellement les participants vers un don définitif [36].
Au sein de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, la démarche de « l’ethnologue de musée » se trouve à un carrefour. A l’intersection de l’histoire et des mémoires, elle se situe également au cœur de la négociation entre la logique de « participation de la société civile » prônée par l’institution de la Porte Dorée et la logique sélective du ministère de la Culture chargé d’établir le patrimoine national.
Les collections — déposées ou données — sont en effet constituées à partir de ce que les migrants (ou leurs descendants) considèrent avant tout comme étant représentatif de leur vécu. Idéalement, elles viennent légitimement s’associer aux savoirs et collections établis par les historiens et les conservateurs.
Néanmoins, à l’instar des autres musées nationaux, celui de la Cité (qui se voulait initialement « différent ») acquiert ses collections par le biais de commissions composées d’experts, nommés par le ministère de la Culture, qui décident en dernier ressort de ce qui entrera dans le patrimoine. Seulement, sur quels critères sélectionner les propositions ? Accepter toutes ces dernières — comme cela était semble-t-il envisagé au moment de la préfiguration (Toubon, 2004 : 28) — constituerait-il une collection cohérente ou une somme de mémoires individuellement exprimées ? Et quelle serait l’image, voire la crédibilité, d’une institution patrimoniale se démarquant de ses homologues en n’effectuant aucune sélection ?
Une ambiguïté fondamentale se dessine ainsi au cœur de la question patrimoniale : d’un côté le musée sollicite les dons et s’engage à valoriser toutes les mémoires et de l’autre, ce fondement — participant du principe de reconnaissance sur lequel est établi l’institution — s’oppose à la logique sélective des musées nationaux.
Dans ce contexte, l’ethnologue du musée — « force de proposition » devant la commission mais à la marge de manœuvre limitée — doit faire coïncider le désir de participation des particuliers et des associations avec les ambitions de l’institution et les contraintes du ministère de la Culture. Son rôle est donc d’accompagner la démarche du donateur, de documenter la proposition et d’argumenter à propos de l’acquisition au moment de la commission, en insistant par exemple sur l’aspect « représentatif » d’un parcours au regard de l’histoire de l’immigration en France (tel le « chauffeur de taxi russe » pendant la période de l’entre-deux-guerres), sur l’intérêt muséographique d’un objet en vue d’une mise en exposition future, ou encore sur ce que le récit et l’objet peuvent nous apprendre sur la transmission d’une histoire familiale ou sur les processus identitaires au fil des générations (dimension peu présente dans « Repères »). Comme on le comprend, l’argumentaire servant au moment de la sélection s’appuie principalement sur les « figures typiques » dégagées par les travaux historiques et sur les « manques » illustratifs de la galerie permanente.
A bien des égards, et comme le signale Daniel Fabre à propos d’autres collectes à ambition patrimoniale, la collection dite « ethnographique » du musée de la CNHI semble finalement obéir « à une logique qui lui est propre et qui, à mon sens, n’entretient pas de relation nécessaire avec l’ethnologie comme science sociale (…). Ce ne sont pas des faits sociaux qui sont ainsi rassemblés mais des objets précieux que collecteurs et spectateurs reconnaissent immédiatement, avec émotion et plaisir » (Fabre, 1986).
Collecter des objets pour un musée, même consacré à des groupes sociaux déterminés, n’est en effet pas nécessairement faire œuvre d’ethnographie, de même que regrouper dans un musée — tel que celui du Quai Branly — les anciennes sources de l’ethnologie ne crée pas de fait un musée d’ethnographie au sens actuel du terme.
Dans le cadre de la CNHI, même si l’ethnologue retrouve son attention méthodologique à la parole en associant mémoires et objets, sa démarche semble fondamentalement être ramenée à une entreprise de « sauvetage » des témoignages, qui est l’une des ambitions fondatrices de la CNHI. L’objet devient ainsi ce « témoin » ayant fait le succès des musées ethnographiques des années 1930 et qui continue finalement à être la conception attendue par la « fabrique du patrimoine » (Heinich, 2009) national.
Mais ce caractère « national » attribué au patrimoine de la Porte Dorée semble justement occulter une dimension fondamentale de celui-ci : son appartenance à l’histoire de la France, mais aussi aux pays d’origine des migrants, comme le rappellent les récits de vie évoquant les mouvements humains par-delà les frontières et les échanges — matériels et immatériels — continus entre le pays d’origine et le pays d’adoption. Car la question et les enjeux de l’immigration ne peuvent se comprendre pleinement qu’en tenant compte de l’articulation, du jeu identitaire en miroir, qui se joue entre Français / Etrangers et France / Etranger. Dès lors, l’idée d’un patrimoine national de l’immigration, inscrite dans la logique classique du ministère de la Culture — voire dans celle plus insidieuse visant à la présentation d’un « patrimoine de l’intégration » — ne semble pas nécessairement s’accorder avec la logique du chercheur en sciences humaines.
Quel sera l’avenir de la contribution de l’ethnologie au projet scientifique et culturel de la Porte Dorée ? Pour l’instant, alors que l’immigration actuelle (amenée à devenir l’histoire de demain), les enjeux identitaires se nouant dans les processus de transmissions ou dans les relations interculturelles et l’élaboration en continu d’identités en miroir et de patrimoines réciproques, font parties du champ légitime de l’ethnologie, la question n’est pas encore tranchée dans la jeune institution qui se définit tout en s’élaborant.
Dans cet établissement, où la science est envisagée sous l’angle de l’histoire, la possibilité d’un regard ethnologique s’est présentée dans le cadre de l’élaboration d’une collection en vue d’un futur musée. Entamée sur un « mal-entendu » (la recherche d’objets en vue de l’exposition permanente), elle s’est ensuite développée autour des « parcours de vie » où sont intrinsèquement liés objets et discours, plan matériel et plan immatériel, deux registres, deux façons d’envisager le patrimoine, qui se sont opposés dès la phase de préfiguration. Mais si cette collection de témoignages (réalisée en marge des acquisitions touchant surtout au domaine de l’art contemporain) associant objets et paroles a été qualifiée « d’ethnographique », c’est avant tout en raison de la catégorisation préétablie distinguant l’œuvre de l’objet, au sein d’un établissement culturel qui passe de l’ambition initiale de valoriser les « mémoires orales » à une institution patrimoniale privilégiant les collections tangibles et fluctuant entre les registres du musée d’histoire, d’arts ou de « société » [37].
A bien des égards, la CNHI, constituant implicitement une première manière de faire « évoluer les regards » sur l’immigration et en particulier celui des institutions culturelles françaises qui avaient longtemps occulté cette thématique, semble finalement souffrir de l’urgence politique qui l’a fait naître. Envisager une collecte des « histoires singulières » — pour idéalement établir une « mémoire partagée » (Toubon, 2004 : 189) et finalement constituer ainsi le patrimoine de l’immigration en France — répond plus en effet à la volonté politique de reconnaissance et de « réparation » (ibid) qui préside à l’émergence de la nouvelle institution, qu’à une ambition patrimoniale mûrie et pouvant être partagée par les différents acteurs concernés (particuliers, associations, historiens, professionnels du ministère de la Culture, …).
Toutefois, l’émergence — non programmée au moment de la préfiguration — d’une « collection ethnographique » au sein de la CNHI et son statut ambigu n’en révèlent pas moins les difficultés actuelles de la discipline ethnologique à se faire connaître au niveau de la recherche et reconnaître au niveau du patrimoine. Vis-à-vis de l’ethnologie, l’histoire récente des grandes institutions parisiennes (autrefois vitrines de la discipline) montre en effet la nécessité de redéfinir le rapport musée / ethnologie et plus largement le rapport ethnologie / société civile, en comptant non plus sur une légitimité de fait du discours scientifique sur certains types de productions culturelles, mais en l’inscrivant au contraire dans un système d’alliances et de stratégies visant à reconquérir une nouvelle visibilité et lisibilité de son rôle social au-delà des registres convenus. L’ethnologie saura-t-elle se défaire de son image surannée de science des « sociétés archaïques » ou d’entreprise de « sauvetage » de ce qui est en train de disparaître et imposer son expertise dans des domaines pour lesquels le sens commun ne l’attend pas à priori ? Au cœur de l’espace public, les musées et leurs expositions deviendront-ils alors des leviers permettant à la science d’afficher son vrai visage ? Et si l’avenir social de la discipline se jouait aussi dans les musées d’aujourd’hui ?
Notes |
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[1] Décret n° 2006-1388 du 16 novembre 2006 portant création de l’Etablissement public.
[2] Créé à l’occasion de l’Exposition coloniale internationale de 1931, ce bâtiment abrite dans un premier temps le Musée permanent des Colonies. Avec le mouvement de décolonisation des années 1960, ce lieu devient le Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie. En 2003, ses collections sont versées au fonds du Musée du Quai Branly.
[3] Le 18 mai 2007, huit universitaires se retirent du Conseil de la Cité pour protester contre la création d’un Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, qui devient l’une des tutelles de l’établissement.
[4] En 1995, la décision présidentielle de valoriser les « arts premiers » en France engendre un phénomène de « chaise musicale » des collections ethnographiques qui ébranle finalement le microcosme des musées parisiens chargés de présenter les cultures des « Autres » mais aussi celles des Français, toucher à l’un revenant à déstabiliser l’autre ; voir Fabrice Grognet (2008a).
[5] Selon la formule de son président Stéphane Martin.
[6] Au-delà de son musée, un réseau de partenaires, des manifestations en régions, des colloques et des séminaires scientifiques, des activités pédagogiques pour les enseignants et les scolaires, des spectacles, des concerts, des films, ainsi qu’une médiathèque, donnent à la Cité une offre culturelle et scientifique touchant idéalement tous les publics.
[7] Dès le début des années 1990, la prise en considération d’un patrimoine lié à l’immigration en France est clairement formulée pour une ouverture possible du champ des musées d’ethnographie déjà établis ; voir Guibal (1992 : 159) et Pizzorni (1993 : 244).
[8] En 1992, « l’Association pour un musée de l’immigration » est créée à l’initiative de l’historien Gérard Noiriel. En 1998, après la Coupe du monde, le journaliste Philippe Bernard et l’historien Patrick Weil relancent cette idée auprès du Premier ministre.
[9] Tout en ayant annoncé préalablement son intention de valoriser les « arts premiers » dans les musées français au moment de sa candidature.
[10] Ancien ministre de la Culture et de la Francophonie (1993-1995), de la Justice (1995-1997), puis député européen (2004-2009), Jacques Toubon est nommé président du groupement d’intérêt public de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration le 25 février 2005. Le 2 février 2007, il est nommé président du conseil d’orientation de l’Établissement public de la Porte Dorée pour une durée de trois ans et est reconduit dans ces fonctions en février 2010.
[11] « Le centre ne doit pas absorber mais bien mettre en relations, fédérer, animer le réseau des initiatives qui vont dans le sens d’une meilleure connaissance du passé des migrations. Il doit travailler avec ces projets, mais aussi leur permettre de voir le jour » (Toubon, 2004 : 135).
[12] Voir Toubon (2004 : 27-28).
[13] Réclamé notamment par les chercheurs de l’ACHAC (Association pour la Connaissance de l’Afrique Contemporaine), dans ce « lieu de mémoire » coloniale (Toubon, 2004 : 194) créé à l’occasion de l’Exposition Internationale Coloniale de 1931.
[14] Création d’un Groupement d’intérêt Public (GIP) en 2005, puis en 2007, d’un Etablissement Public à caractère Administratif (EPA), placé sous la tutelle des ministres chargés de la Culture, de l’Intégration, de l’Éducation nationale et de la Recherche.
[15] « Le lancement officiel de la Cité par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin en juillet 2004 a constitué une étape décisive. L’Etat reprenait enfin le projet à son compte, et le projet devenait institution. La contrepartie a été que, par le jeu des contraintes administratives et financières comme la mise à disposition de personnels déjà agents publics, le projet a quelque peu échappé à ses concepteurs pour tomber entre les mains de fonctionnaires dont le rapport avec l’immigration était surtout le fait des circonstances. Les compétences techniques l’ont emporté sur le fond, et le milieu associatif, malgré la richesse de ses expériences, a été largement écarté des recrutements. Depuis lors, des modes de coopération entre la Cité et les associations ont été négociés, les rapports se sont normalisés, et les partenaires de la Cité ont pris toute leur place dans la conception des expositions » Bernard (2008).
[16] Historienne de l’art, spécialiste du XIXe siècle.
[17] Nom donné à la galerie permanente du musée, initialement envisagée comme devant être chronologique, mais qui devient finalement thématique, invitant le visiteur à suivre le parcours « type » d’un migrant (les raisons du départ, le passage de la frontière, l’arrivée en France, la recherche d’un logement, d’un travail, puis « l’enracinement »). Ce parti pris peut toutefois donner l’illusion que tous les parcours connaissent les mêmes étapes, gommant par exemple les spécificités des migrants coloniaux dans ce lieu même qui était autrefois le Musée permanent des Colonies.
[18] Une institution ouverte au public est à priori moins sensible aux remaniements de présidence et de gouvernement.
[19] Répondant à un journaliste du journal des arts, Hélène Lafont-Couturier présente ainsi l’élaboration du musée de la Cité : « "Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait." Ces paroles de Mark Twain s’appliquent parfaitement à la création de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, seule institution consacrée à ce thème en France. Les contraintes budgétaires, le choix du lieu, le fait qu’il n’y avait aucune collection existante, ont constitué autant de défis, surmontés en seulement deux ans » (Lafont-Couturier in Bétard, 2010).
[20] Il est intéressant de noter que pendant la phase de préfiguration, au moment où l’on compte moins sur des objets tangibles que sur des archives numérisées et des films documentaires, l’expression « installation permanente » est employée. Par contre, dès la mise en place effective du service du musée, l’expression « galerie permanente » la supplante.
[21] Cette expression, formulée par les responsables de la CNHI et toujours visible sur son site internet, revient à opposer l’objet « banal », devenant anodin, et « l’œuvre », par définition remarquable. De manière insidieuse, elle revient également à créer une ligne de démarcation entre les champs de compétences de l’ethnologie et ceux de l’histoire de l’art.
[22] La recherche est envisagée sous l’angle de l’histoire (l’ancien conseil scientifique de la Cité est devenu de manière emblématique le « comité d’histoire »).
[23] En marge du musée et afin de nourrir le futur site internet de l’institution, une collecte de « mémoire vivante » s’organise avec l’association « L’atelier du bruit », qui reçoit la commande de cinquante « portraits » à réaliser.
[24] Idéalement et pour chaque proposition de don entrant dans les collections nationales du musée, l’objet ou le document remis est accompagné d’un portrait vidéo de son propriétaire, réalisé avec les membres de l’association de L’atelier du Bruit.
[25] Autrefois, les scientifiques et conservateurs des musées nationaux parlaient de populations homogènes où les personnes restaient anonymes, les singularités s’effaçant devant les caractéristiques « moyennes » du groupe concerné.
[26] Voir à ce sujet Hommes & Migrations n°1250, Juillet-Août 2004.
[27] Sur la difficulté d’inscrire l’histoire de l’immigration dans un récit commun au regard de l’hétérogénéité des trajectoires et des conditions sociales, voir Cohen (2007).
[28] Suivant la formulation déjà en vigueur dans les Instructions sommaires (1931) rédigées à l’occasion de la mission Dakar-Djibouti.
[29] « Il a fallu reconstituer les choses, se rappeler, construire un discours cohérent autour de ce que me racontait mon père. Je me suis alors aperçu que je confondais, que j’oubliais des éléments ou qu’il y avait des choses totalement incohérentes. Il a fallu résumer, ordonner, avec des appréciations, des affirmations et au fur à mesure, je me demandais : est-ce que c’est bien ça ? Est-ce que mon père m’a bien dit ça ? Alors je fouillais dans les papiers. Et j’ai redécouvert les documents, que j’avais chez moi, mais que je ne m’étais jamais encore décidé à vraiment lire. Pour moi, cela a été un "remue méninges" assez perturbant ».
[30] Dans leur recherche de l’objet « digne » du musée, les donateurs ou déposants sont souvent tentés de proposer celui qui valorisera une certaine altérité culturelle liée aux origines et envisagé comme à priori « souhaité » par le musée.
[31] « Je n’ai pas d’enfant et ma filleule, veuve depuis sept ans et mère de quatre enfants, n’a pas connu mes parents. Elle ne s’intéresse pas trop à ces histoires et comme j’avance en âge, j’aimerais que tout cela ne disparaisse pas complètement avec moi ».
[32] « On a eu un peu un rejet de toute cette histoire, pendant notre adolescence et même pendant notre vie professionnelle. Et c’est revenu après coup, quand nos parents ont disparu. Tant que les parents étaient là, la mémoire était là. Ce n’était pas important que l’on s’en occupe. Mais après, on entendait plus parler de ceci, plus parler de cela… C’est là où on a pris la relève en quelque sorte. Tous les documents que nous avons pu réunir ont été dupliqués, aux sœurs, aux frères, aux petits-enfants. Les objets qui étaient jusque-là disséminés dans la famille nous ont été envoyés. On a fait en sorte de tout continuer. Ça serait dommage que ça s’arrête à nous. Et maintenant on attend — et toute la famille avec nous — que tout cela soit présenté au musée. Pour la pérennité de la mémoire ».
[33] Les objets exposés, renvoyant à leurs propriétaires et à leurs parcours, suscitent une résonance chez certains visiteurs et l’envie de devenir à leur tour acteurs de la constitution du patrimoine : « C’est après la visite que je me suis dit : "moi aussi, j’ai des choses à raconter et des objets à présenter". Seulement, je ne pensais pas que cela était digne d’un musée, que l’histoire de la famille pouvait intéresser quelqu’un d’autre ».
[34] Par exemple, en donnant ses archives personnelles au musée, un ancien salarié de l’ONI (Office National de l’Immigration), sans rapport familial avec l’immigration, souhaite ainsi « répondre aux réflexions entendues tous les jours à propos des immigrés – non par des théories, non par des phrases toutes faites, non par des slogans – mais par des faits dont j’ai été témoin et souvent acteur dans mon travail ou mes actions personnelles ».
[36] C’est ce principe qui a présidé tant à l’élaboration des parcours de vie jalonnant l’exposition permanente « Repères » que la « galerie des dons », à l’intitulé traduisant avant tout l’engagement de la société civile dans le discours de la Cité ; voir Grognet (2008c).
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« Ismael Hajji. Le club », réalisation : atelier du Bruit ; © Cité national de l’histoire de l’immigration
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« La pierre / José Batista de Matos », réalisation : atelier du Bruit ; © Cité national de l’histoire de l’immigration
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« Soundirassane Nadaradjane. L’homme à la valise », réalisation : atelier du Bruit ; © Cité national de l’histoire de l’immigration
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