Mise à l’essai du concept de sphère sur le terrain des conflits environnementaux...

Résumé

Cet article se propose de tester empiriquement la fécondité du concept de « sphère » développé par le philosophe Peter Sloderdijk. Suffisamment abstraite, cette notion permet d’analyser différemment les problèmes environnementaux en ce qu’ils questionnent notre capacité à maintenir ou créer - ou recréer - des atmosphères et des demeures du monde hospitalières.

Abstract

This article aims at testing empirically the fecundity of the concept of “sphere” that has been developed by the philosopher Peter Sloterdijk. Abstract enough, this notion allows new analyses of environmental problems in that they question our capacity in maintaining or creating - or recreating - hospitable atmospheres and dwellings in the world.

Sommaire

Table des matières

Introduction

« L’existence humaine n’a pas seulement un rapport d’adaptation et d’intégration avec ce qui s’appelle en termes modernes et trop lisses ‘’l’environnement’’ ; cette existence produit au contraire elle-même autour de soi l’espace à travers lequel et dans lequel il survient. A chaque forme sociale s’attache une maison du monde spécifique, une cloche de sens sous laquelle les créatures humaines commencent par se collecter, se comprendre, se défendre, s’exacerber, sortir de leurs frontières. Les hordes, les tribus et les peuples, et plus encore les empires sont, dans leurs formats respectifs, des entités psycho-sociosphériques qui s’aménagent, se climatisent, se contiennent elles-mêmes » (Sloterdijk, 2001 : 64).

L’eau au même titre que l’air compte parmi les conditions essentielles de la vie organique. Elle constitue ce que le philosophe allemand Peter Sloterdijk nomme, à la fois littéralement et métaphoriquement, une membrane existentielle (Sloterdijk, 2001 & à paraître). Très présente dans le milieu environnant des êtres vivants, l’eau participe directement à la constitution de leur intériorité. Humains compris. Mieux que nul autre élément, elle imprègne et nourrit nos cellules. De la même manière, elle baigne une grande partie de nos horizons. Beaucoup de villes sont en effet construites à proximité d’une source ou d’un fleuve. Les cours d’eau servent à notre alimentation en eau potable. Ils ont été détournés pour permettre l’irrigation et le développement de l’agriculture. Ils servent de voies de navigation, en même temps que de canalisations pour l’évacuation des rejets urbains et industriels. L’eau entre également dans la fabrication de la plupart des denrées alimentaires et des biens manufacturés. Quant aux rivières elles-mêmes, elles sont depuis très longtemps devenues des lieux de pêche et d’agrément convoités.

Malgré ces évidences, nos liens avec cet élément ont longtemps été passés sous silence. La fluidité, la transparence et le manque apparent de saveur de l’eau nous ont longtemps laissé croire qu’elle était une ressource parmi d’autres. Il a fallu attendre que ses qualités soient altérées pour qu’on mesure son importance. Ainsi, les problèmes environnementaux et les alertes sanitaires nous forcent peu à peu à expliciter les conditions de notre existence, et notamment à travers les problèmes de l’eau, la question du « milieu », c’est-à-dire les espaces et les entités matérielles qui rendent possible cette même existence. Si les sociologues ont préféré ignorer cette question, les géographes et les anthropologues en ont souvent traité de manière partiale, se renvoyant la balle des déterminismes physiques ou bien sociaux, sans trouver une façon de réconcilier l’ensemble des perspectives disciplinaires.

Si les travaux de Peter Sloterdijk n’ont pas spécifiquement trait à la question des milieux de première et seconde nature — ou écoumènes — ils ont cependant le privilège de proposer un certain nombre de concepts originaux qui permettent de repenser transversalement la question du lieu [1]. Sloterdijk échappe à la fois aux écueils du structuralisme et à ceux de la phénoménologie. Le principal concept qu’il a forgé, celui de « sphère », a l’avantage de dépasser les oppositions sujet et objet, et par là même celles de culture et nature, permettant d’appréhender le milieu comme relation dynamique. Mais, les sphères ne sont pas pour autant semblables aux écosystèmes ou aux biotopes. Elles sont à la fois les capsules originelles qui accueillent la vie, et les serres artificielles que nous sommes amenés à reconstituer pour la préserver. Chacune, dotée d’une enveloppe perméable, interagit avec les autres avec plus ou moins de félicité. Sloterdijk considère la réceptivité et la capacité d’entrer en résonance comme un excellent critère distinctif. Il déplace la question de la normativité pour la traiter sur le même plan que les autres problèmes matériels et pratiques. La bonne sphère est celle dont la rondeur, et donc les qualités concrètes, la rendent hospitalière de manière à ce que les êtres qui l’habitent puissent se constituer comme tels, tout en maintenant une communication active avec le reste du monde [2]. Ces propriétés sont cependant fragiles et requièrent un travail d’entretien constant, faisant appel à des compétences diverses, en perpétuel renouvellement.

Mon objectif ici n’est pas de résumer l’œuvre de Peter Sloterdijk ni même de discuter la lecture qu’il fait des œuvres de Martin Heidegger. Il est avant tout pratique. J’essayerai de montrer en quoi le concept de sphère renouvelle l’analyse des problèmes environnementaux dans leur généralité. J’essayerai ensuite de l’appliquer à mon terrain d’étude, la mise en cause des pollutions aquatiques, pour tester ses applications empiriques possibles. Je montrerai notamment comment la pollution a poussé certains pêcheurs à quitter le confort de leurs sphères de loisir pour investir le terrain du droit et du militantisme. Je me demanderai alors si les actions « thérapeutiques » qu’ils mènent en direction des rivières n’ont pas conduit à la constitution de nouvelles sphères.

Les conflits environnementaux comme révélateurs des lieux du monde

Les questions environnementales, entendu que ce qualificatif doit être utilisé précautionneusement, nous forcent à penser le monde différemment, c’est-à-dire avant tout dans sa continuité. Comme Bruno Latour a pu le montrer, la séparation entre nature et culture est une conception moderne, historiquement datée, réfutée chaque jour un peu plus par la multiplication des entités hybrides qui frappent à notre porte. Il se pourrait même qu’elle n’ait jamais été véritablement mise en pratique (Latour, 1991 & 1999) [3]. Pourtant, nombreux sont encore les écologistes qui pensent la nature séparément de la société et nous la présente comme une macrosphère menacée qu’il s’agirait d’entourer de nos soins. Pas plus que la société, l’environnement n’est là comme une chose extérieure déjà constituée. Loin d’être un substrat de l’existence, il est plutôt l’espace dans lequel elle survient et l’espace qu’elle contribue à produire par la même occasion. D’ailleurs, ce que nous enseignent les conflits environnementaux, c’est que chaque fois qu’on parle de la nature on se réfère en fait à des lieux du monde différents et des attachements particuliers, c’est-à-dire des branchements territoriaux spécifiques et pré-individuels, sachant qu’il y a autant d’environnements, de lieux et de mondes que de modes d’existence et de relations (Combes, 1999). Nous, et toutes les entités qui peuplent notre monde, sommes inextricablement pris dans un entrelacement d’enveloppes à échelle variable que l’on découvre le plus souvent à l’occasion d’une crise ou d’un problème particulier. Quant à la surface de la terre, ce n’est pas un espace homogène que l’on pourrait balayer d’un seul regard, mais plutôt un assemblage complexe de sphères suggestives [4]. Autrement dit, nous sommes immergés dans des contrées qui tout en étant locales — et donc directement « attachantes » et mobilisatrices — ne sont pourtant pas réductibles à des emplacements donnés (Deleuze & Guattari, 1980). Les sphères sont le produit des liens qu’elles abritent. Leur ventilation, ou plus littéralement les échanges « atmosphériques » qu’elles entretiennent avec leur environnement est à la fois source de confort, mais aussi de transformations successives, elles-mêmes génératrices de nouveaux entrelacements, de plis et de prises singulières. Car, chaque sphère possède la capacité virtuelle d’entrer en communication avec les autres par vibration, ce faisant elle nous engage dans des échanges complexes et variés. Le concept permet de penser ensemble, et sans a priori, l’infiniment grand et l’infiniment petit, en même temps que le proche et le lointain, le vital et l’ornemental. Les sphères nous replongent de manière active dans la variété et la matérialité d’un monde dont Sloterdijk nous invite à retracer la genèse (et donc l’histoire et la dynamique des attachements, entendu qu’il ne s’agit pas de liens qui relient un sujet à une chose, mais plutôt des branchements nécessaires entre des entités et des choses, que l’ont ne peut a priori démêler).

Ainsi, la multiplicité des environnement ci-dessus évoquée, et la pluralité des relations que nous, humains, entretenons avec le reste des entités qui peuplent notre monde, ont donné lieu à des mobilisations protestataires extrêmement diverses. Celles-ci ont pour particularité, depuis leurs premières expressions dans les années 70, de s’être multipliées sans toutefois trouver de principe fédérateur assez puissant pour s’agréger et constituer une « cause » véritablement commune. La mise en rapport institutionnelle des domaines disparates, dont on pressent qu’ils font partie de l’environnement, n’y a pas suffit (Charvolin, 2003). Sous l’appellation « mobilisations environnementales » se rassemblent des groupements et des collectifs hétérogènes qui tantôt s’opposent aux bouleversements qui affectent l’intégrité d’espaces et de lieux singuliers, tantôt cherchent à défendre des espèces animales et végétales dans leur habitat, ou bien encore à prévenir des risques dont l’intensité ou la durée nuirait aux conditions même de la vie.

Soulignons que la prolifération infinie des liens d’interdépendance accélérée par les techniques et les sciences, mais avant tout par les situations de crise, a considérablement modifié les modes d’appréhension des problèmes environnementaux. Loin de s’étendre et gagner du poids en faisant appel à des principes généraux, ces problèmes-là empruntent d’autres voies d’extension et se propagent différemment. Avec l’idée de sphère, nous pouvons enfin suivre des agencements très différents dont les modalité d’existence et d’évolution varient, notamment des configurations de problèmes très fortement dépendantes des lieux, des entités qui les composent et de leurs propriétés. Bien évidemment, les caractéristiques locales des questions environnementales gênent le travail de mise en équivalence préalable à toute montée en généralité (Lafaye & Thévenot, 1993). Les lieux et les événements auxquels il est fait référence sont la plupart du temps considérés comme incommensurables. Chaque cas de pollution est unique et produit des sphères qui lui sont spécifiques, les exemples qui suivent en témoignent. Leur mise en série génère une profusion de nouveaux liens dont la liste grandissante bouscule nos catégories d’analyse. Au plus on s’approche, plus nombreuses encore sont les différences. Impossible de ne pas en tenir compte. Il semblerait donc que les problèmes de pollution requièrent d’autres formes de médiation que celle d’un bien commun abstrait, même si ce dernier peut aussi avoir des effets dans certains cas. Le droit, par exemple, mobilisé dans toutes les affaires que j’ai étudiées dans le cadre de ma recherche, opère de nouveaux découpages et favorise d’autres assemblages. Son usage permet de laisser s’exprimer un questionnement plus large sur l’architecture des espaces dans lesquels nous vivons (Rémy, November & d’Alessandro, 2004). On peut alors se demander si l’environnement, plutôt qu’une cause parmi d’autres, n’est pas le mode privilégié d’explicitation des sphères — ou des conditions pratiques — de nos existences, dont l’onto-anthropologie sloterdijkienne entend être la théorie.

L’Association Nationale de Protection des Eaux et Rivières (ANPER-TOS), à laquelle j’ai consacré toute mon attention au cours de la thèse, n’échappe pas à la règle. Elle est à la fois unique, de par son histoire, et emblématique de l’ensemble des associations dites de protection de la nature, tout au moins de celles dont le travail principal consiste à produire des revendications et engager des disputes. ANPER-TOS a été créée en 1958 par des pêcheurs à la mouche passionnés désireux d’échanger des astuces et des idées. Très vite, ses membres se sont cependant rendus compte que la qualité de l’eau des rivières se dégradait et avec elle, que les salmonidés se raréfiaient, que leur loisir était menacé. Leurs actions ont alors pris un tour plus revendicatif. Ils ont réussi, grâce aux réseaux notabiliaires de leur premier président, à faire interdire la commercialisation des poissons de rivière, et à faire imposer des débits réservés sur les cours d’eau équipés de microcentrales. Progressivement, ANPER-TOS s’est transformée. Elle est aujourd’hui une des rares associations de protection de la nature à œuvrer principalement sur le terrain du droit et plus particulièrement sur celui du contentieux. Les environnements et les attachements dont elle se nourrit sont tellement divers qu’on ne sait plus qui de la rivière, des poissons, des pêcheurs ou des juristes la mène. Parce qu’ils sont généralement et majoritairement inexplicités, quelquefois invisibles à l’œil nu, les liens qui font tenir l’association, requièrent tous des médiations et des mises en formes spécifiques, qu’elles soient scientifiques, techniques ou bien sensibles. Nous verrons quelles sphères en émergent.

La rivière comme attachement fluide

Les rivières — ou la rivière générique — ne constituent pas des sphères à proprement parler. Elles ont besoin pour ce faire d’une multitude d’êtres, dont les poissons et le pêcheur qui arpente ses berges, muni de son équipement. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les sphères se forment sur la base des relations qu’elles rendent possibles. Elle ont besoin d’un liant pour advenir [5]. Ainsi, la rivière captive le pêcheur tout autant que le pêcheur cherche à se saisir d’elle. De la capacité de ce dernier à se mettre à l’écoute du monde qui l’entoure dépend la réussite de sa pêche. On dit qu’il doit « lire » la rivière, deviner ses attentes tout autant que celles des poissons. Ceux-ci agissent d’ailleurs comme de véritables intermédiaires entre les humains et le milieu. On a vu plus haut que c’étaient eux qui avaient recruté les membres d’ANPER-TOS et les avaient poussés à défendre les rivières. Les attachements qui les relient les uns les autres se situent en deçà de toute qualification esthétique, puisque ce qui est immergé importe au moins autant que ce qui se voit à la surface, et sur les berges. La qualité de l’eau s’exprime dans de nombreuses variables bio-environnementales et jusque dans la variété de la végétation avoisinante. L’harmonie paysagère des lieux n’en est pourtant qu’un aspect. Les peuplements piscicoles en sont les premiers indicateurs. Pour les pêcheurs de l’association ANPER-TOS, une belle rivière est une rivière hospitalière, c’est-à-dire un milieu clément où cohabitent de nombreuses espèces animales et végétales, dont des poissons, et de nombreux petits invertébrés. Pour l’ensemble de ces espèces, dont le système respiratoire est majoritairement amphibie, le courant est une source d’oxygène nécessaire. Ils trouvent abris dans les enrochements qui sont aussi des remparts contre l’érosion. Les couches successives de sable et de gravier, de même que les roselières, leur servent également de refuge, en même temps qu’ils filtrent les éléments susceptibles d’altérer les qualités physiques de l’eau. Le confort du poisson, évidemment lié à de nombreuses variables, fait à la fois le bonheur du pêcheur mais aussi le pittoresque des sites. Pour le dire de manière simple, pas de pêcheur sans poisson, pas de poisson sans rivière, et pas de rivière poissonneuse sans les efforts répétés de quelques associations ou fédérations de pêche attentives aux besoin des uns et des autres, humains, espèces animales, végétales et minérales. La rondeur et la commodité des sphères halieutiques dépend en effet pour beaucoup du travail des humains et donc de leur savoir-faire. Sauf exception, dans des zones préservées ou en amont de torrents particulièrement fougueux, toutes les rivières doivent aujourd’hui être entretenues, notamment parce que nous avons largement contribué à modifier leur flux. La diversité n’y est donc pas donnée, mais elle est le produit fragile de l’action conjointe de plusieurs entités qui parviennent plus ou moins à s’équilibrer [6]. A contrario, les rivières détériorées — ou polluées — se présentent comme des milieux uniformes où ne vivent que quelques rares organismes connus pour être moins exigeants et surtout moins délicats.

Dès sa création, la revue d’ANPER-TOS a servi de lieu de rencontre et de débat (Gramaglia, 2001). Les grandes rivières françaises et étrangères ont été mises à l’honneur dans des articles bien documentés, en fonction des voyages entrepris par les membres de l’association : l’Allier, le Doubs, les cours d’eau normands, irlandais, norvégiens ou canadien, etc. Chaque séjour halieutique était l’occasion d’éprouver la diversité paysagère du monde avec pour chemin directeur le chevelu des rivières. Peu importent les rendements [7]. La pêche à la mouche se présente comme un sport recherché en prise directe avec les éléments naturels (Corbin, 1995). Le pêcheur choisi soigneusement son leurre en fonction de critères spécifiques liés à la saison, au courant, à la luminosité et surtout aux insectes qui butinent la surface de la rivière, puis il descend dans son lit. Il tâte l’eau. Il observe attentivement. Il devine le poisson plus qu’il ne le voit avant de lancer hardiment sa soie. La pêche se veut active. Il s’agit de ruser pour surprendre le spécimen convoité. Si les moucheurs s’intéressent plus aux salmonidés qu’aux autres espèces, c’est que ceux-ci, et notamment les truites, sont considérés comme étant vifs et ayant de réelles qualités « sportives  », contrairement aux poissons des étangs dont il est dit qu’ils sont « ventrus et passifs  ».

 

De nombreux pêcheurs à la mouche, notamment les adhérents ANPER-TOS, pratiquent le no-kill (pêche « sans tuer », cf. illustration 2 et illustration 3). Dans ce cas, le poisson est considéré comme un partenaire de jeu et non comme une proie. Après avoir été pris, et quelquefois photographié, il est précautionneusement remis à l’eau (« rendu à la rivière »). Les objectifs de ceux qui pratiquent le no-kill sont avant tout ludiques. Certains recherchent aussi les prouesses techniques. Un lancer franc et une mouche adaptée sont les conditions nécessaires à la réussite d’un bon coup. Il s’agit de se mesurer au poisson en anticipant ses habitudes. La mouche artificielle, qui peut être sèche ou bien noyée, est fabriquée spécialement dans ce but. Soigneuse imitation de la nature, elle sert de leurre. Qu’il pratique le no-kill ou consomme ce qu’il rapporte, le bon pêcheur est celui qui sait tempérer sa passion. Du moins, c’est ce qu’en disent les codes de bonne conduite, tels que ceux promus par les membres d’ANPER-TOS. Il est demandé aux pêcheurs d’être attentifs aux milieux et de s’abstenir de pêcher lorsque les conditions ne le permettent pas ou que les milieux s’avèrent trop fragiles. Quoiqu’il en soit, les poissons les plus petits doivent toujours être relâchés afin de ne pas compromettre le renouvellement des générations [8].

« L’homme est très inventif, parce que dans la nature, il y a quantité d’insectes différents qui éclosent le matin, d’autres tard le soir, d’autres la nuit et c’est pour ça qu’il y a des centaines et des centaines de modèles. Le fait de la pêche à la mouche, pour moi, en dehors de cette passion de montage de mouches, c’est de se rapprocher de la nature parce qu’on la copie, donc on est un peu plus impliqué que les autres pêcheurs qui pêchent au leurre métallique, des cuillères tournantes, des appâts naturels, des vers qu’on accroche, etc. Et, surtout c’est tromper un animal qui prend des insectes pour se nourrir, et en lui lançant le produit de sa fabrication, on arrive à le tromper lui-même. Donc, le plus beau geste que l’on a, c’est de le remettre dans la nature parce qu’elle nous aura procuré une belle sensation de l’avoir trompé, et ça ne mérite pas la mort ça...On le remet dans son élément. Ce qui fait que nous ne sommes pas de gros prédateurs, parce qu’on restitue à la nature. Moi, personne ne m’a vu avec un panier de pêche parce que je n’aime pas prélever ce que la nature a eu du mal à produire. Si on s’efforçait de prendre cet exemple, on n’aurait pas ce souci avec nos générations de truites ou de saumons. Et, puis les gestes sont différents. Il y a une autre élégance que de balancer et de mouliner bêtement. Là, il faut aller traquer, c’est une chasse » [commercial, administrateur de l’association].

La pêche à la mouche est d’ailleurs pour beaucoup une invitation à la promenade. Les numéros les plus anciens de la revue TOS présentent le récit de véritables aventures champêtres. Les rivières y sont décrites avec précision en même temps que leurs rives et leurs caractéristiques écouménales immédiates (cf. illustration 4). Le pêcheur qui s’en retourne célèbre tout autant les paysages que les auberges où il a été bien accueilli. Plusieurs membres de l’association ANPER-TOS ont rédigé, en plus d’ouvrages de pêche techniques, des nouvelles et des odes qui célèbres des rivières particulières. Distinctement nommées, et parfois même appropriées (« ma rivière, celle-là et pas une autre, parce qu’elle me fascine »), elles y tiennent à chaque fois le premier rôle.

« Pêcher ne doit jamais être synonyme de détruire. S’il est évident que la prise du poisson est la raison d’être de la pêche, ce n’est cependant pas son seul agrément. Une route n’est pas toujours belle, une rivière à truite l’est toujours, et comme si la nature avait voulu combler le pêcheur de truite, elle a destiné ce noble poisson a être pêché aux plus belles saisons, depuis la grâce naissante du printemps jusqu’à la mélancolie de l’automne, durant ces mois trop courts où l’ordre éternel de la vie revêt les arbres et les prairies d’une succession d’habits dont les jours qui passent varient la teinte, sans en altérer la splendeur. Et si vous êtes un jour irrité lorsque les caprices imprévisibles du poisson vous imposeront des moments d’inaction, meublez alors ces heures creuses par le rêve. N’aurez vous pas pour charmer vos yeux le vol d’un martin-pêcheur, la souplesse d’une couleuvre qui traverse le courant, l’harmonie des sapins caressés par la brise, la ronde d’une buse en chasse dans l’azur, et — si elle est jolie — la vue de la bergère dans les prés de la rive opposée ». [Léonce de Boisset, fondateur de l’association ANPER-TOS et écrivain ; Boisset,1957].

Ces relations croisées entre les pêcheurs à la mouche, les rivières et les poissons, semblent constituer à elles seules l’amorce d’une sphère idéale [9]. On a vu que d’autres entités étaient nécessaires à sa pleine réalisation. Son maintien, comme la conservation de la rondeur des sphères, dépend pour beaucoup des efforts d’aménagement consentis par les humains. Une rivière trop longtemps délaissée est une rivière qui s’envase, notamment parce que nous y rejetons la plupart de nos effluents. Les berges des cours d’eau doivent régulièrement être nettoyées et débroussaillées. Leur lit aussi doit être désencombré. Les pêcheurs, mais également d’autres personnes, travaillent à les entretenir, y compris pour éviter qu’ils ne débordent. La sphère idéale évoquée précédemment est donc en fait le produit d’un travail qui se présente comme un échange croisé entre des qualités écouménales et des savoir-faire agrestes — pour ne pas dire agricoles alors qu’il s’agit bien de « culture » — eux-mêmes hybrides de sciences (hydro-environnementales) et de connaissances halieutiques ordinaires sédimentées avec l’expérience [10]. Le succès des pratiques d’aménagement dépend directement de la façon dont la rivière concernée répond aux sollicitations qu’on lui présente et entre en résonance avec les soins qu’on lui prodigue (Mukerji, 2001 ; Despret, 2002). Il ne s’agit pas de techniques qu’on appliquerait sur un matériau amorphe, mais plutôt de gestes adaptés aux exigences des milieux. Les pêcheurs, les sociétés de pêche et les experts développent ainsi des pratiques mimétiques. Il s’agit de rassembler et de copier en un lieu donné des modèles d’atmosphères variables, selon l’expression de Sloterdijk, dont on pense qu’ils sont les plus « naturels » et les plus « accueillants » pour l’ensemble des espèces que l’on souhaite contenter. La rivière n’est pas un simple tuyau mais un partenaire méandreux et mouvant avec lequel il faut composer si l’on souhaite qu’elle puisse conserver toutes ses virtualités en attente de s’exprimer (Latour & Le Bourhis, 1995). Elle a ses propres exigences et ses humeurs saisonnières. De même, les poissons, comme d’autres espèces, ont leurs préférences en matière d’habitat. Ils ont besoin de zones ombragées mais aussi de coins dégagés où se nourrir et nager librement. L’ensemble de ces caractéristiques bio-environnementales médiatisées par les pratiques d’aménagement ci-dessus nommées, contribuent à expliciter des sphères spécifiques, propices au plus grand nombre des êtres captés par les rivières en tant que milieux. Les pêcheurs les plus observateurs et les plus responsables ont depuis longtemps compris cela. Bien que récusant l’appellation, ils oeuvrent sur le terrain comme de véritables « écologistes ». Leur objectif n’est pas de défendre une nature vierge de toute intervention humaine, mais plutôt de mettre en lumière les liens d’interdépendance fragiles qui font de chaque rivière une multiplicité d’entités et de modes d’être. Et, ceux-ci se révèlent notamment au moment de tension ou de crise.

Turbulences (ou pêche en eaux troubles)

Les salmonidés, poissons emblématiques de l’association ANPER-TOS, occupent une position particulière dans les systèmes de classification savants et halieutiques. Ils vivent dans des eaux froides fortement oxygénées et sont des indicateurs précieux de la qualité de l’eau des rivières [11]. Ils font aujourd’hui l’objet de mesures de protection spécifiques, ce qui implique le maintien de leurs milieux de vie et la limitation de la pêche. Dans ce but l’administration attribue aux rivières une note relative à la qualité de l’eau (1A : excellente, 1B : bonne, 2 : passable — reproduction piscicole limitée — et 3 : médiocre — vie piscicole menacée) et à la diversité des peuplements (salmonidés ou cyprinidés d’intérêt patrimonial moindre). Les cours d’eau dits hors-classe sont quant à eux considérés comme impropres à la plupart des usages. Ils présentent certains risques. Ces catégories donnent aujourd’hui lieu à des réglementations spécifiques [12].

 

Si la qualité de l’eau est en nette amélioration depuis quarante ans beaucoup de rivières sont encore dans un état de dégradation avancée (cf. illustration 5 et illustration 6). En fait, les spécialistes s’accordent pour dire que la pollution et les problèmes ont changé de nature. On continue d’évacuer dans les cours d’eau des effluents industriels et des eaux souillées que les stations d’épuration ne parviennent pas toutes à traiter. On produit des boues et de nouveaux composés chimiques dont on ne connaît pas toujours les effets. Que les pollutions soient organiques, chimiques ou bien métalliques, les conséquences sont souvent dramatiques pour les milieux. Les effets varient selon la quantité, la durée et le degré de toxicité des rejets. Dans certains cas de grandes quantités de poissons sont retrouvés asphyxiés. Dans d’autres, les phénomènes sont plus insidieux : les espèces présentent des anomalies biologiques ou génétiques et ne se reproduisent plus. Les petits invertébrés qui vivaient dans les sédiments disparaissent également. Les caractéristiques physiques de l’eau rendent difficilement perceptibles — voire insaisissables — les pollutions qui l’affectent jusqu’à ce que des événements particuliers manifestent leur présence. Bien souvent, l’œil avisé du pêcheur ne suffit pas à évaluer l’ampleur des dégâts. Des moyens scientifiques et techniques supplémentaires sont nécessaires.

Plusieurs niveaux d’observation sont alors possibles. Les plus évidents sont les indices de croissance et de reproduction des espèces. Les poissons constituent, cela a déjà été dit, des indicateurs fiables en eux-mêmes. Quand bien même les instruments de mesure et de régulation n’indiqueraient aucune anomalie, un contrôle des peuplements piscicoles et des communautés végétales permettrait d’identifier les problèmes. Lorsque la qualité de l’eau se détériore, les salmonidés cèdent la place aux cyprinidés, moins sensibles et aussi moins valorisés. En cas de très forte pollution la rivière peut également devenir « abiotique », c’est-à-dire sans vie. D’autres informations peuvent être fournies par les marqueurs bio-moléculaires et génétiques, requérant une instrumentation beaucoup plus lourde. C’est que les rivières ne sont pas des exutoires passifs pour les activités humaines. Leur capacité d’absorption varie en fonction des débits et de la nature des effluents rejetés, qui s’accumulent et parfois réagissent aussi entre eux. Quelle que soit leur gravité, les pollutions modifient les milieux, chacune en fonction de ses caractéristiques propres. Les analyses chimiques enregistrent ces transformations. Selon les cas, des algues se développent et prolifèrent. Le PH de l’eau s’acidifie et sa teneur en oxygène baisse. D’autres composants comme les nitrates s’accumulent.

Il n’est pas nécessaire de dresser la liste de toutes les atteintes subies par les rivières. Il suffit de savoir que les dégâts se manifestent différemment et que certains peuvent être irréversibles. Les pollutions, quelles qu’elles soient, participent toutes de ce processus séculaire d’explicitation des enveloppes biologiques sous l’aspect de leur vulnérabilité (Sloterdijk, 2001). Pour le dire autrement, elles manifestent subitement sous le coup d’un événement perturbateur, leur fragilité intrinsèque. Ce qui allait de soi, comme étant là depuis toujours et immuable, se présente alors sous un autre jour. Les conditions du maintien de son existence, longtemps cachées, apparaissent subitement, incertaines et précaires. La permanence d’un paysage harmonieux n’est pas gagnée. Pas plus que ne l’est la qualité de l’eau. Leur reproduction dans le temps est distribuée sur un nombre infini d’entités interdépendantes. La disparition d’une d’entre-elles peut avoir des conséquences désastreuses pour l’ensemble.

Ainsi, les pollutions industrielles, urbaines et agricoles, dont la pression s’est intensifiés durant les Trente Glorieuses, ont contribué à rendre visibles ces sphères agrestes dont nous avons ci-dessus évoqué les contours les plus caractéristiques. En même temps, elles les détruisaient chaque jour un peu plus. Les modes de vie qui allaient avec ces milieux en péril ont également disparu. Les pêcheurs ont été les témoins privilégiés de la détérioration des rivières et de la qualité de l’eau. Indignés, empêchés de s’adonner à leur loisir, quelques-uns ont choisi de rendre publiques leurs récriminations. ANPER-TOS réunit depuis plus de cinquante ans les plus vindicatifs d’entre eux. Alliée à des juristes professionnels et des pêcheurs aguerris au maniement des outils du droit, l’association combat les pollutions aquatiques sous toutes leurs formes.

Le local associatif comme chambre d’enregistrement

Le local de l’association ANPER-TOS est situé en banlieue parisienne. Il est constitué de trois pièces contiguës : un corridor large dans lequel sont empilés des cartons contenant un amas hétérogène de feuilles de papier et de journaux, un bureau encombré où trône en bonne place un téléphone, puis une grande salle organisée autour d’un pilier central bordé de grandes étagères et de tables supportant un nombre incalculable de dossiers (cf. illustration 7), de documents photocopiés, de livres et de codes juridiques, un ordinateur, une imprimante, un photocopieur et de menus objets de papeterie. Deux gros néons illuminent violemment l’ensemble. Le délégué de l’association ANPER-TOS, unique permanent salarié, est présent chaque jour de la semaine. C’est ici qu’il officie. Seul, il s’y acquitte de l’ensemble des tâches principales qui font exister l’association : préparation des contentieux, confection de la maquette de la revue, rédaction d’articles, coordination des enquêtes et des rapports techniques (sur les carrières, les barrages, le droit de l’environnemen, etc.), organisation des colloques ou des tables rondes annuelles. Ses journées sont occupées à téléphoner, écrire des lettres ou des e-mails, chercher des renseignements, des textes de loi dont l’un des juristes membres de l’association lui aura parlé, ou des documents qu’il égare dans le capharnaüm de ses archives. Car les demandes ou plaintes diverses affluent : ici un pêcheur membre de l’association qui a envoyé des photos qui serviront de pièce à conviction, là un autre qui transmet une coupure de presse, là encore une lettre d’un particulier témoin d’une pollution qui demande de l’aide. Le délégué note toutes les informations qu’il glane et le compte-rendu de ses nombreuses communications téléphoniques dans des cahiers d’écolier. Soigneusement, il conserve dans son carnet les coordonnées de l’ensemble de ses contacts, juristes professionnels, responsables d’association, gardes des Fédérations de Pêche, fonctionnaires du ministère de l’environnement, personnels administratifs des services déconcentrés de l’Etat et journalistes.

Sur les trois étagères qui bordent la pièce principale sont rangées des boites cartonnées. Les dossiers des affaires administratives et contentieuses y sont archivés : usines pharmaceutiques, décharges, tanneries, barrages ou microcentrales (cf. illustration 8), porcheries, ... Les noms sont marqués au feutre rouge, associant le plus souvent l’appellation de l’entreprise ou de la municipalité en cause au patronyme d’une rivière ou d’un site fluvial. L’Allier, la Dore, la Laïta et le Doubs figurent en bonne place. L’évocation de chacune d’entre-elles arrache au délégué un soupir et des commentaires. Il regrette le manque de mesures préventives. Selon lui, le droit ne suffit pas à empêcher les dégradations, son efficacité est ailleurs [13].

Les documents contenus dans les dossiers posés sur les étagères du local sont séparés par des chemises colorées sans ordre apparent. Page après page, le récit des affaires se déploie au gré des courriers échangés entre les parties. Le délégué a adhéré à l’association il y a quelques années seulement, s’étant personnellement opposé au projet de microcentrale hydroélectrique qui devait prendre place sur la rivière voisine de sa maison de famille. Depuis, il consacre la majeure partie de son temps, de cas en cas, à relever les infractions au droit de l’environnement commises sur des rivières. Soutenus par le conseil d’administration, où siège de nombreux juristes, et par les pêcheurs qui forment la base de l’association ANPER-TOS, il œuvre à les faire sanctionner.

Ce local, décrit minutieusement, est un lieu à l’atmosphère très particulière, confinée. Il est encombré d’une multitude de papiers et de documents divers dont certains, posés à même le sol, forment une succession d’obstacles pour le visiteur qui n’a pas l’habitude. La lumière y entre difficilement et l’air n’y circule pas bien. Les fenêtres sont trop petites. L’hiver, l’unique radiateur des lieux ne parvient pas à chauffer la grande pièce. L’été, le délégué d’ANPER-TOS importuné par la chaleur, est contraint de transporter son matériel informatique et ses dossiers jusque dans sa maison de campagne en Lozère. Son téléphone lui permet de rester en contact et de régler les affaires en cours. Quelquefois, il profite aussi de son déplacement pour inventorier les problèmes qui se posent dans ce département qu’il affectionne particulièrement. Il collecte des données sur la qualité de l’eau des rivières locales qui lui serviront peut-être dans de nouvelles affaires.

Il ne serait pas utile d’insister autant sur la configuration du local (et de son annexe rurale, une imposante ferme traditionnelle bâtie en pierres de taille) s’il ne jouait un rôle aussi important. Ce local est d’abord le siège d’ ANPER-TOS, c’est-à-dire le lieu où l’association est domiciliée, celui qui lui confère une existence physique. C’est aussi une véritable chambre d’enregistrement où les plaintes en matière de pollution d’eau sont mises en forme, après incubation, puis adressées aux autorités compétentes. Le délégué centralise les informations et les preuves envoyées par les membres, des pêcheurs pour la plupart, avant de demander conseil aux juristes de l’association. La tactique et les moyens juridiques sont choisis au cours de nombreux échanges téléphoniques, entre la province et Paris. L’aller-retour se fait aussi entre les dossiers anciens et nouveaux. Dans tous les cas le droit apparaît comme le médiateur principal, un tisseur de liens inégalé entre des sites et des cas épars (Latour, 2002). En reprenant le vocabulaire de Sloterdijk on peut dire que le local lui-même, agit comme une machine à fabriquer, transformer et réparer des sphères.

Le droit comme équipement thérapeutique, transportable et expansible

La rivière est transportée au siège de l’association ANPER-TOS sous forme de documents imprimés, des rapports d’experts et des photos. Le droit est l’équipement qui permet presque instantanément de l’y amener. Lui-même peut d’ailleurs être déplacé. Le code de l’environnement, comme tous les grands textes de loi, se présente comme un dispositif léger et maniable si l’on sait l’utiliser (cf. illustration 9). Ces qualificatifs ne sont pas seulement un jeu de langage. Les articles du code sont suffisamment abstraits pour être appliqués à des cas disparates les uns les autres, et s’assembler différemment selon les cas. Les juristes et le délégué d’ANPER-TOS le savent bien et ne se privent pas d’expérimenter de nouvelles combinaisons lorsqu’ils le peuvent. La règle est la même à Versailles et Mende, même si les modalités de son application peuvent varier. En outre, le code pèse moins de deux kilogrammes. Fort de plusieurs centaines de pages, il contient une profusion d’outils possibles. Contrairement aux adhérents d’une association, et aux militants des causes environnementales, il peut se mouvoir rapidement (encore plus vite grâce à la numérisation de certaines de ses parties publiées sur des sites Internet spécialisés). Là où la contestation est faible, il fait office d’équipement expansif capable de faire se dresser une affaire comme une tente nomade en plein désert, quel que soit le lieu et l’ampleur des protestations. Une fois les preuves rassemblées une seule lettre suffit, le plus souvent, à lancer un procès, qu’il s’agisse d’une procédure administrative ou contentieuse (Jasanoff, 1995) [14]. Le droit est donc un outil très économique. Il permet à des plaignants isolés de se faire entendre, et cela quelle que soit leur taille. Il se présente également comme un mode de liaison particulièrement efficace apte à tisser des liens entre des causes, des conséquences, des responsabilités, des données, des textes de loi, des personnes et des entités disparates. En cela, il est aussi générateur de sphères, tout au moins contribue-t-il à en remodeler certaines.

En ce qui concerne nos sphères agrestes, ci-dessus désignées, le droit agit sur elles comme un acte thérapeutique. Nous avons vu que le délégué, unique salarié de l’association ANPER-TOS, quitte rarement le local, si ce n’est en période estivale. Comme je l’ai déjà dit, il dépend entièrement des informations qui lui sont transmises par ses relais sur le terrain. Des pêcheurs, témoins oculaires d’un problème sur une rivière le contactent. Quelquefois, il lui arrive aussi de travailler directement avec des représentants territoriaux de l’administration. Dans ce cas, l’association devient un auxiliaire efficace des pouvoirs publics, habilitée depuis les lois de 1976 sur l’environnement, à se pourvoir en justice [15]. Le droit permet alors de pallier le manque de mobilité des acteurs concernés, très fortement attachés à des lieux singuliers ou des fonctions. Il remplace aussi la foule qui, dans tous les dossiers de pollution de rivière dont j’ai eu connaissance, ne s’est pas mobilisée au-delà du cercle des voisins immédiats. Mis à part quelques pêcheurs et des fonctionnaires consciencieux, attachés à leurs rivières, les protestations sont en effet rares et de faible ampleur. Les deux pollutions accidentelles qui ont gravement endommagé le Lot en juillet 1986 sont les seules à ma connaissance qui dans l’histoire d’ANPER-TOS ont généré une mobilisation importante. Il faut dire que les métaux lourds rejetés dans le milieux naturels ont causé la mort de centaines de kilos de poissons et ont eu des répercutions sur plusieurs dizaines de kilomètres, perturbant considérablement de nombreuses activités professionnelles. Dans ce cas précis, la quasi-simultanéité des événements et leur propagation très rapide le long du cours d’eau concerné, de même que leur reproduction à quelques jours d’intervalle, en est l’origine. Aujourd’hui, la pollution persiste mais elle s’est faite plus discrète. La protestation ne concerne plus que quelques rares associations dont ANPER-TOS qui s’était portée partie civile lors du procès qui avait suivi.

Là où il n’y avait que des mécontentements dispersés, n’ayant aucun moyen de s’agréger à d’autres protestations similaires, le droit fabrique des affaires, et sinon une cause générale, au moins une série de cas qui agissent comme précédents. Le droit permet aux associations, lorsque leurs plaintes sont jugées recevables, d’obtenir réparation, c’est-à-dire des dommages et intérêts en compensation des efforts fournis en faveur des rivières. Le juge peut également ordonner que les sites endommagés soient remis en état ou bien que des mesures plus restrictives soient prises. En outre, ses décisions débouchent quelquefois sur des modifications jurisprudentielles intéressantes qui permettent aux associations d’envisager de nouveaux recours. Procès après procès, ANPER-TOS met à l’épreuve ses connaissances et renforce sa crédibilité. Elle publicise chacune de ses actions en espérant décourager les pollueurs éventuels [16].

Mais, revenons à la procédure. Toutes les actions engagées par l’association passent par l’écrit. Dans un premier temps, le délégué s’adresse à la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) pour obtenir des informations sur l’entreprise mise en cause. Généralement, il s’agit d’une installation classée soumise à l’autorisation du préfet (industrie ou élevage de taille importante). Les renseignements vont l’aider, ainsi que les juristes d’ANPER-TOS, à qualifier les infractions avant de chercher un moyen juridique adéquat ( Latour, 2002). L’exposé des faits sera, lui aussi, consigné par écrit avant d’être envoyé aux autorités compétentes et éventuellement plaidé devant un tribunal. Le droit offre avant tout une arène institutionnelle et des procédures éprouvées pour le traitement des disputes. S’il permet de sortir de la confrontation de face à face entre deux parties il ne définit pas pour autant un système autonome à part. C’est cependant un dispositif d’interpellation publique très puissant. La partie mise en cause, une fois citée, est en effet contrainte de s’expliquer devant un tiers arbitre assermenté. Dans le cas d’une procédure pénale, c’est le ministère public lui-même qui mène l’enquête. Ensuite, et cela quelle que soit la forme du procès, le juge soupèse les arguments. Il se forge une conviction après moult hésitations. Son bons sens, les circonstances locales aussi bien que générales, les moyens juridiques sont mis en balance. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la règle à elle seule ne permet pas d’emporter sa décision. Le droit se nourrit de ce qui lui est extérieur. Il le met en forme avant de l’expurger de nouveau.

Le droit produit des liens, pour certains improbables, comme l’alliance des juristes et des pêcheurs au sein d’ANPER-TOS. Véritable thérapeutique, il vient au secours de sphères qui autrement peineraient à se trouver des défenseurs. Il semble même en produire de nouvelles. D’autres exemples auraient pu être cités (comme le marché des viandes de Chicago décrit par Cronon, que j’ai évoqué au début, qui s’étend à la mesure de ses capacités à intégrer le milieu qui l’environne). Celui-ci a pour principal intérêt d’envisager de nouvelles modalités d’extension. Plutôt que de monter en généralité et de se perdre en abstraction dans des catégories du bien commun difficilement accessibles aux entités en devenir que je décris, l’explicitation juridique des sphères agrestes laisse penser que d’autres modes d’agrandissement sont possibles : cas après cas, de sphères poreuses en sphères perméables, de lieu en lieu, par accumulation et ondoiement. Ces écumes nouvelles, comme les nomment Sloterdijk, esquissent un monde différent, en recherche de son liant. Sans doute que le droit, faute de mieux, y joue un grand rôle. Avons-nous d’autres moyen de penser ensemble des flux, des effluents invisibles, des ruisseaux, des poissons et des pêcheurs, et cela en mêlant les échelles d’observation ? Il semblerait que le droit permette de faire le travail d’inventaire des conditions pratiques de l’existence que la sociologie classique s’est jusqu’ici toujours refusée de faire. En tout cas le traitement juridique des conflits environnementaux permet de poser explicitement la question des propriétés concrètes de l’espace dans lequel nous vivons.

« La rivière est un révélateur de ce qui se passe sur son bassin versant, c’est-à-dire des usages et des intérêts en concurrence entre lesquels il faut trouver un arbitrage...Vous trouvez beaucoup de rivières qui ont été flinguées par un mode d’agriculture ou une station d’épuration qui fonctionnait mal. C’est un fait de société important. La rivière est un bien collectif mais elle est trop souvent prise comme exutoire à toutes nos activités » [magistrat administrateur de l’association].

L’affaire de Turenne est à ce titre riche d’enseignements. ANPER-TOS et une association de riverains (Turenne Environnement) ont essayé, tout au long d’un procès devant les juridictions administratives, de démontrer que le projet de développement d’une usine de batteries au plomb n’était pas adapté aux caractéristiques écouménales de leur village. Les industriels avaient bien fourni une étude d’impact mais les données sur lesquelles ils s’étaient appuyées n’était pas locales, d’une part ils faisaient référence à une autre de leurs usines située au Portugal, d’une autre ils ne tenaient pas compte du régime des vents de la vallée (variable importante qui permet de prévoir la dispersion des fumées) ni du débit particulièrement capricieux de la Tourmente, petit cours d’eau voisin destiné à recevoir les effluents de l’usine. Les associations ont également insisté sur le fait que Turenne avait été classé parmi les plus beaux villages de France et ne pouvait accueillir une installation classée à risque. Leur action juridique a permis de stopper l’extension de l’entreprise et de limiter ses activités. Après deux inondations et un incendie accidentel, celle-ci a définitivement fermé ses portes. Une première sphère semble avoir été créée avec l’association locale, ANPER-TOS s’y est momentanément jointe. L’énumération des caractéristiques écouménales d’un lieu singulier, facilitée par l’usage des outils juridiques, a contribué à effectuer les attaches qui le constituaient (alors qu’auparavant les champs où s’est installée l’usine ne faisaient pas véritablement partie du village classé). Cette activation de nouveaux liens a entre autre été rendue possible par la convocation d’un lieu extérieur, la ville de Bourg-Fidèle. Ses habitants, vivant à proximité d’une usine similaire et souffrant de plombémie, sont en effet venus parler de leurs problèmes lors d’une réunion publique à Turenne. Cet échange a permis de démontrer par anticipation certains des effets de la pollution. Il a contribué à transformer en profondeur les attachements entre toutes les parties prenantes, faisant émerger de nouvelles formes d’indignation, c’est-à-dire de nouveaux motifs et de nouvelles configurations entre des prises et des motifs différents, contre un même projet. Ces changements, dont il sera pris acte au cours de deux procès successifs, pèseront beaucoup sur les jugements et l’issue de l’affaire.

Le droit, en tant qu’outil tactique et thérapeutique permet non seulement de préserver certaines sphères menacées, mais il ajoute encore à leur diversité. Il les modifie. Il participe directement à l’explicitation tâtonnante des liens qui les constituent. Il créé en plus de nouvelles connexions. Les poissons, la rivière, les pêcheurs et les juristes évoluent. La sphère est ce qui émerge de la crise, d’une pollution subite qui trouble l’eau et les attachements entre des entités forts diverses. C’est aussi ce qui permet de penser conjointement, et de façon plurielle, la jonction de leurs griefs : des pêcheurs à la mouche indignés qui deviennent des écologistes, en même temps que des poissons qui se font indicateurs et porte-parole des rivières ; des juristes soucieux d’améliorer le droit et des riverains mécontents qui se mobilisent avec eux, etc. Si j’ai choisi de tester le concept de « sphère » développé par Sloterdijk, c’est qu’il m’apparaissait comporter des propriétés originales permettant de repenser les lieux et l’architecture variée des espaces du monde. Avec les sphères, nous ne traitons jamais d’une nature vierge et des dégradations qui peuvent l’endommager mais plutôt de pliages successifs qui se manifestent à l’occasion d’événements particuliers. La sphère des pêcheurs à la mouche n’est pas plus « naturelle » qu’une autre, en cela qu’elle est déjà très fortement instrumentée. Les prises successives dont elle fait l’objet, les perspectives dans lesquelles elle se trouve engagée, ajoute à ses transformations. Elle-même suscite des engagements divers pouvant — ou non — s’articuler les uns les autres. Le concept est d’autant plus intéressant qu’il permet de penser dans la continuité tout un ensemble d’entités hétérogènes, ainsi que le changement et les progressions incertaines ou risquées. Il débloque un certains nombre de points que la sociologie classique, concentrée sur des questions de perceptions ou de sensibilités divergentes ne permettait pas de traiter. L’exercice était périlleux, mais j’espère avoir pu montrer que les problèmes environnementaux questionnaient notre capacité à maintenir ou créer — ou recréer — des atmosphères et des demeures du monde hospitalières. Grâce aux sphères, et à Sloterdijk, nous pouvons désormais envisager les conditions pratiques de l’existence, et l’action des entités matérielles avec qui nous partageons ce monde.

add_to_photos Notes

[1Les termes abondent pour désigner les espaces mais ils présentent tous des insuffisances. Doit-on parler de nature, d’environnement, de milieu ou d’écologie indistinctement ? Chacun de ces termes semble renvoyer à une entité extérieure abstraite et presque idéalisée. Si j’utilise le vocable « environnement » — ou même « nature » — c’est par commodité, mais également parce que c’est celui que les acteurs emploient le plus souvent. Cependant, l’objet du présent exercice est de proposer d’autres pistes à partir de l’idée de sphère. Notons qu’Augustin Berque dans tous ses travaux avait déjà tenté avec la notion d’« écoumène » de qualifier les propriétés matérielles et sociales des natures ou des environnements dont il a traité (Berque, 1990 & 2000).

[2Comme le bel ouvrage de William Cronon sur Chicago en témoigne. L’auteur montre comment en 25 ans la ville a connu un extraordinaire développement grâce à la captation progressive, en un lieu précis, des éléments de son écoumène qu’elle contribuait ainsi à transformer (Cronon, 1992).

[3L’anthropologue Philippe Descola, à la suite de ses travaux sur les Achuar qui traitaient de la nature domestiquée, a distingué quatre grands ordres ontologiques régissant les rapports entre les humains et les entités qui peuplent leurs mondes. Ces ordres ne sont pas des systèmes fermés, pas plus qu’ils ne recoupent des zones géographiques limitées. Plongé parmi d’autres ontologies, le naturalisme qui nous caractérise paraît bien isolé (Descola, 1996 & 2000).

[4Augustin Berque reprend l’opposition classique entre topos et chôra, telle que spécifiée par Aristote et reprise par Heidegger. Alors que topos désigne un lieu neutre et géométrique détaché des choses qu’il accueille, chôra au contraire, signifie un emplacement propre ou un lieu existentiel. Par extension elle indiquera aussi la campagne (Berque, 2000). J’ajouterai le qualificatif « suggestives » à l’idée de sphère pour insister sur le fait que ces lieux existentiels ont également une capacité propre à agir et faire agir.

[5Contrairement à Heidegger, Sloterdijk accorde une grande place aux sciences qui participent activement à l’explicitation des conditions pratiques de l’existence. Pour que la rivière constitue une sphère, on a besoin de pouvoir nommer certains des liens qui la constituent. Ainsi, Charis Thompson rend compte avec beaucoup de détails des expériences de terrain entreprises par David Western, directeur du parc national Amboseli au Kenya, et qui a montré que non seulement les éléphants étaient nécessaires au maintien de la prairie, mais également les troupeaux de vaches dirigés par les MassaÏ. L’alternance régulière du passage de chacune de ces espèces au fil du temps a façonné les territoires de sorte qu’aujourd’hui la sauvegarde de leur diversité en dépend. Toutefois, il ne s’agit pas simplement de décrire un écosystème dans lequel les humains sont partie prenante. Thompson insiste plutôt sur le travail de liaison accompli par Western, les enveloppes successives, et notamment le rôle des Massaï, qui n’auraient pas été rendus manifestes sans lui (Thompson, 2002).

[6Des phénomènes comparables peuvent être observés en Camargue (Picon, 1988). Territoire hybride façonné par les travaux de drainage entrepris par les humains, les marais camarguais sont devenus un refuge pour de nombreux oiseaux migrateurs. Les ornithologues doivent cependant intervenir constamment pour réguler les populations qui pour certaines, comme les goélands, se développent au détriment des autres (Gramaglia, 2002).

[7D’ailleurs, nombreux sont les pêcheurs adhérents de l’association ANPER-TOS qui demandent un renforcement de la réglementation de la pêche et qui pratiquent une pêche « sans tuer ».

[8Les actions d’ANPER-TOS ne font cependant pas l’unanimité chez tous les pêcheurs. L’association s’est quelquefois heurtée à l’incompréhension de certains adeptes trop exaltés ou bien trop insatiables.

[9Sloterdijk, dont le premier tome de la trilogie « Sphères » s’intitule « Bulles », appelle du même nom les membranes matricielles que sont l’œuf et l’utérus. Leurs qualités respectives en font des lieux particulièrement hospitaliers et presque idéaux. Pour ne pas générer de confusion je n’utiliserai ici que la « sphère » en la qualifiant distinctement. Mon but n’est pas de faire une analyse terminologique des concepts développés par l’auteur mais bien de tester empiriquement l’un d’entre eux.

[10Une fois encore cet adjectif nous évitera de tomber dans le piège de la nature et l’artifice. En ce qui concerne la France, plusieurs auteurs ont montré que l’idée de nature y était synonyme de campagne et de savoir-faire paysan, ce qui a donné lieu à des mobilisations environnementales spécifiques et singulières. Alors que la deep-ecology s’est développée dans des pays où le sauvage (wilderness) s’incarnait dans des lieux donnés, l’environnementalisme français s’exprime quant à lui majoritairement à travers des associations de proximité attachées à la défense de paysages et de terroirs patrimonialisés (Bess, 2003).

[11Les saumons ont la particularité supplémentaire d’être considérés par les pêcheurs comme des poissons « nobles » de par les prouesses qu’ils accomplissent au cours de leur migration.

[12Une première grande loi sur l’eau a été votée en 1964. Une deuxième a suivi en 1992. Actuellement, une troisième est en cours d’élaboration.

[13Certaines procédures administratives permettent d’interrompre voire d’annuler des projets. L’affaire de Chanac est à ce titre très intéressante. Alors qu’un élevage industriel de porcs venait de s’installer en lieu et place d’une ferme de taille modeste sur un des grands causses de Lozère, l’association ANPER-TOS s’est alliée à un groupe de riverains mécontents pour porter le cas devant les tribunaux administratifs. Après plusieurs années de procédure, le juge a estimé que l’enquête publique n’avait pas été menée correctement. Il a annulé les autorisations d’extension, empêchant ainsi que des quantités énormes de lisier soient produites.

[14Il peut s’agir de photographies, de cartes, de témoignages ou de documents officiels cités en exemples, y compris des analyses écotoxicologiques pratiquées à l’initiative de l’administration. ANPER-TOS doit en outre démontrer son intérêt à agir et soulever un moyen juridique.

[15Ayant désigné les associations de protection de la nature comme partenaires de l’Etat, ces lois ont également eu pour objet de mettre à leur disposition des moyens d’action précis (Lascoumes, 1994). Outre la reconnaissance d’utilité publique, procédure sélective permettant de recevoir des subventions, des dons ou des legs, l’agrément constitue un outil supplémentaire, autorisant celles qui en bénéficient à participer à la gestion d’organismes publics mais également à intenter des actions en justice.

[16L’affaire de la décharge de Férolles est un exemple intéressant. La plainte déposée par ANPER-TOS devant le tribunal pénal (en concertation avec deux associations locales qui ont quant à elles intenté une action devant la juridiction administrative) a donné lieu à plusieurs enquêtes des services de police. La confrontation de documents administratifs entachés d’erreurs n’a cependant pas permis au juge de se forger une conviction. Par deux fois ANPER-TOS a été déboutée. Cela, malgré le fait qu’elle ait cherché à rapprocher ce cas d’un précédent survenu en Lozère, où l’issue fut plus dramatique mais également plus favorable à l’association. Malgré les similitudes, ce cas a été jugé différent après plusieurs mises en situation, aller-retour entre les règles juridiques et les circonstances.

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Pour citer cet article :

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(https://www.ethnographiques.org/2004/Gramaglia - consulté le 20.04.2024)
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